L’aqueduc romain
L’aqueduc d’Hippone est l’un des plus anciens et plus importants ouvrages hydrauliques de l’Algérie romaine. C’est un ouvrage complexe, qui achemine l’eau potable des sources montagneuses de l’Edough vers la ville d’Hippone. Cet ouvrage d’art fournissait à Hippone une eau saine et propre en continu.
C’est un aqueduc exceptionnel, comme en témoigne le capitaine du génie militaire français, Albert Maitrot :
« Cet aqueduc est une véritable merveille de précision qui mérite d’être étudiée dans les moindres détails qui subsistent. »
Caractéristiques
L’aqueduc romain prend naissance à la fontaine du prince, sur la croupe de Sidi Abid. Après avoir parcouru 11 km, il débouche selon le principe des vases communicants, dans les piscines épuratoires, puis de là dans les citernes d’Hadrien à Hippone.
Son point le plus haut culmine à 760 mètres et son point le plus bas côte à 20 mètres.
Une partie de l’aqueduc, environ 800 mètres, est recouverte de dalles. L’aqueduc ne contient aucune tubulure (= tuyaux) fermée. Ce sont ces mêmes dalles qui le recouvrent qui protègent l’eau des impuretés.
Surplombant deux rivières et six ravins, l’ouvrage ne dépasse jamais les 10 mètres de hauteur par rapport au sol.
Sur le circuit de l’aqueduc, on peut trouver :
- une tour circulaire d’1 mètre de diamètre, avec des murs d’une épaisseur de 55 centimètres sur 1.41 mètres de hauteur
- une construction carrée à deux étages, avec une chambre voutée au RDC et à l’étage un abri destiné au surveillant romain de l’aqueduc. Pour diminuer la pression d’eau sur le circuit de l’aqueduc, les romains utilisaient des ouvrages pour établir des chutes d’eau et un circuit en gradin
- une arche large de 4.26 mètres sur 9.30 mètres de hauteur, avec des piles d’une épaisseur de 2.10 mètres, aux abords de l’oued Erbibah, affluent de cha3bet Ahrour.
On dénombre aussi cinq regards de 0.70 x 0.70 mètres, avant d’arriver au village de Sainte-Croix de l’Edough (époque française).
A 600 mètres d’altitude environ, vers le sud, l’aqueduc surplombe la rivière oued Makine sur une longueur de 8,21 mètres. A cet endroit, il est constitué de deux arches, dont les hauteurs sont de 2.06 et 2.57 mètres.
Contexte de réalisation de l’aqueduc
On imagine que le fleuve Oued Seybouse alimentait la ville en eau potable, mais qu’il servait aussi à évacuer les eaux vannes (eaux d’évacuation domestiques), les ordures et mêmes les cadavres. L’Oued Seybouse a fini par être affreusement pollué.
Il a fallu trouver une autre solution pour alimenter Hippone en eau potable. C’est une véritable ligne de vie qui a ainsi été imaginée par les ingénieurs romains, partant des sources les plus proches de la montagne de l’Edough : un aqueduc romain de plusieurs kilomètres.
Pour transporter l’eau de la montagne vers Hippone, il faut traverser des collines, des vallées et une vaste plaine. Aujourd’hui, nous surmontons ces difficultés à l’aide de pompes mécaniques et de conduite sous pression. Les ingénieurs de l’Antiquité pouvaient compter sur une seule chose : la force de la gravité.
Etude et conception de l’aqueduc
Construire l’ouvrage dans un relief montagneux est une tâche compliquée. Les ingénieurs ne pouvaient pas passer sous les montagnes mais devaient les traverser et dévier les obstacles naturels. Ils devaient surtout déterminer la pente parfaite à l’aide d’un outil simple mais précieux appelé le chorobate, une sorte de niveau d’eau sur une structure en bois.
La tâche était difficile car :
- si la pente était faible, l’eau n’arriverait jamais à Hippone.
- si la pente était forte, l’eau éroderait les parois du mur et l’ouvrage s’écroulerait.
Structure et tracé de l’aqueduc
Selon les archéologues, la pente idéale pour un aqueduc est de 0,1% pour qu’elle soit douce et que l’eau coule en continu. Pour conserver une telle pente, il faut construire un aqueduc plus long que la distance à parcourir.
Ici, il fallait donc rallonger le parcours. Pour garder la même pente et corriger les erreurs, les ingénieurs romains ont aménagé des regards tout au long du circuit. Entre ces points, l’ouvrage peut serpenter. La paroi intérieure de l’aqueduc est constituée d’un enduit étanche composé de chaux hydraulique, de sable fin et de fragments de terre cuite écrasée. C’est un mortier hydraulique imperméable qui se solidifie sous l’eau. Les réparations demeurent possibles.
Des contreforts avec des pierres en saillie sont présents sur certains piliers de l’aqueduc. C’est un système de stabilisation qui renforce la structure de l’ouvrage et qui forme aussi un escalier pour visiter le canal en cas d’entretien.
Vestiges
Aujourd’hui, il demeure quelques vestiges de l’aqueduc romain :
- une grande arche encore debout mais dépourvue de sa partie supérieure, partie qui contenait le canal d’eau ;
- un canal d’eau souterrain appelé « specus » d’1,20 mètres de hauteur, avec deux pans de gneiss, dans lequel l’eau s’achemine vers Hippone ;
- une autre arche en pierre plus petite sur les hauteurs de l’Edough, sur un terrain rocheux et accidenté, en pente.
Malheureusement, certaines parties de l’aqueduc ont été totalement détruites, et à différentes époques d’ailleurs.
Pendant l’occupation française, le génie militaire français fait sauter les 9 arches qui restaient au niveau des jardins de l’Orphelinat, pour créer une nouvelle route.
D’autres parties furent détruites en 1986 par les services techniques de la municipalité d’Annaba (Assemblée Populaire Communale), selon M. Said Dahmani.
Classement monument historique
Témoin fort du génie humain à l’époque romaine, l’aqueduc romain est classé monument historique depuis peu. Pour Hippone, l’eau reste un signe de puissance, de réussite et de luxe, comme en témoignent les vestiges des ouvrages restants.
Les ingénieurs romains ont eu recours a des technologie avant-gardistes. Aujourd’hui, même avec des instruments topographiques modernes, construire un aqueduc n’est pas une mince affaire.
C’est pour cela qu’il est important d’entretenir les parties de ce magnifique ouvrage encore debout, comme ont pu le faire en 2012 des étudiants d’architecture sur la grande arche. Cette opération était encadrée par l’université d’Annaba ainsi que des archéologues italiens.
Par Riad Slimani, architecte en patrimoine
Références :
Hippone, de Xavier Delestre
Revue « Les Chantiers nord-africains« , publiée en juillet 1932
L’Aqueduc romain du Bou-Zizi, par M. Maitrot de la Motte-Capron, Bône : Impr. de E. Thomas, 1927
ANNABA, Esquisse d’histoire urbaine, de Saïd DAHMANI – Alger, Art et culture – ministère de l’information, 1983