La fontaine Aïn El Acir (Yacine)
PRÉSENTATION
La Fontaine « Ain el Acir » traduite en français la fontaine du captif, se trouve à Ardh El khatib, l’actuel quartier du Caroubier, plus exactement rue de la Fontaine Romaine, à Annaba. Située au dessous de la Casbah (la citadelle) et à 600 m de la mer, elle surplombe le ravin de la plage du Lever de l’Aurore, anciennement Raml Ezabib.
Elle fut d’ailleurs la première escale des militaires français lors de leur débarquement en mars 1832 sur cette même plage et constitua un passage militaire stratégique pour la Casbah.
Plus tard, au 20ème siècle, elle devint un lieu de détente et de repos, objet de visites lors de sorties scolaires. Et l’été, les visiteurs y venaient se rafraîchir et admirer la vue panoramique sur le front de mer.
Elle fut appelée à tort pendant la période française « la fontaine romaine » car les français à leur arrivée croyaient qu’ils s’agissait d’un vestige romain; et encore aujourd’hui une partie de son nom, « Acir », se trouve déformée en « Yacine ».
HISTORIQUE
La fontaine date probablement du 18e siècle. Son style rococo, une tendance artistique et architecturale qui se développa en Europe entre 1700 et 1790, le laisse du moins largement penser .
Les témoignages de la population rapportés par les historiens racontent que ce monument serait l’œuvre d’un captif européen. Le monument constituerait un moyen de se racheter ou de gagner la liberté pour ce captif, qui aurait probablement été hébergé au Kasrayne (les deux palais), non loin du Pont de la Tranchée, à 700 m de la fontaine. Ce palais fut construit par les ottomans, en deux ailes : l’une réservée à l’accueil des contres corsaires et leur butin, l’autre destinée à l’hébergement des prisonniers.
Car employer le savoir faire des captifs européens, faisait partie de la politique ottomane, à l’exemple du médecin captif italien Pascal Gamisot acheté par Salah Bey en 1771 et qui devient son médecin personnel, ou encore l’espagnol Sanchez, chirurgien à l’hôpital chrétien d’Alger en 1786.
Aujourd’hui, la fontaine « Aïn El Acir » est la dernière des quatre fontaines monumentales qui existaient à l’époque ottomane, après la disparition de Aïn Jerada, rue d’ Alger, Aïn Chraïet, et Haoud Soukène rue El Fida, situées à la médina. Elles disposaient d’un dôme revêtu de faïences, d’un bassin en marbre et d’un enclos en fer forgé.
On comptait à cette époque une trentaine de bouches d’eau. Afin d’assurer le bon fonctionnement des fontaines et leur entretien dans le Sanjak Bleb El Anneb (Annaba), un responsable nommé « Caïd El Ayoune » était spécialement désigné par le Khalifa.
L’autorité de ce caïd s’exerçait aussi hors des remparts de la ville, pour le captage des sources, le financement des constructions hydrauliques à l’aide des subventions dont il bénéficiait auprès du beylik (les provinces). Il est vraisemblable que de lui dépendaient les porteurs d’eau, appelés « sakka », et qui pour des raisons plus humanitaires que professionnelles avaient droit aux repas offerts par les habitants de la médina. Cette tradition existe toujours chez certaines familles Annabis qui n’hésitent pas à offrir le déjeuner dès que les employés de l’Algérienne des Eaux effectuent des interventions dans les quartiers.
ARCHITECTURE
STYLE
La fontaine Aïn El Acir avec son aspect pittoresque constitue une pièce unique en Algérie. Un mélange de style, entre la beauté de la faïence mauresque et le marbre blanc de Grèce.
Un témoin fort du style « rococo », cet art décoratif qui se développa, comme nous l’avons dit plus haut, entre 1700 et 1790. Informe et surchargé, ce style est une fusion des styles rocaille et baroque.
Il se reconnait, dans l’architecture, aux lignes courbes et asymétriques rappelant les volutes des coquillages ou encore aux motifs mêlant fleurs, feuilles, fruits, rubans, etc. C’est le cas de la fontaine Aïn El Acir.
A titre de comparaison, voici quelques-uns des plus beaux lieux au monde d’inspiration rococo :
Détails de la sculpture de la fontaine :
Le capitaine Maitrot décrit avec détails la composition de la fontaine comme suit :
Elle (la fontaine) se compose d’une belle plaque de marbre blanc sculptée en demi-relief, mais en retrait, par rapport à la partie polie restée plane.
Le pourtour : est formé par un cadre à un boudin, un listel, un talon, un listel et un boudin de 0,11 m de largeur et fait en briques et ciment. Cet encadrement est moderne.
Le massif est en briques : il est actuellement complètement enterré et il a fallu creuser une tranchée en pente de 1,00 m environ, au point le plus bas, pour pouvoir l’atteindre.
Plaques de marbre : le devant de la fontaine est formé par une plaque de marbre blanc de Grèce. Celle-ci, haute de 1,50 m et large de 0,80 m, est divisée en quatre parties. Les deux premières sont circonscrites l’une à l’autre et occupent exactement l’intérieur du cintre de 0,40m de rayon, formé par le haut du monument.
1- La première : de 0,10 m de largeur, est plane et polie ;
2- La seconde : est en retrait de 10 à 15 mm et porte en demi-relief un vase formé de feuilles d’acanthe et chargé de six roses épanouies, disposées comme le seraient des oranges dans une corbeille : 3, 2 et 1, et entourées d’un rayonnement de feuilles. Des enroulements de feuilles d’acanthe et un écusson fleurdelisé forment, autour de ce motif, un cercle accosté à droite et à gauche d’un attribut en forme de médaillon du style dit cinq cent cents, c’est à dire formé de feuilles débordant les unes des autres.
3- La troisième partie : de 0,28 m de hauteur et de 0,80 m de largeur, est comprise entre deux baguettes polies de 0,015 m d’épaisseur dont la supérieure se termine, à chaque extrémité, par une accolade en rideau soulevé.
Un médaillon central, en demi-relief comme les autres motifs, est entouré de volutes capricieuses dans lesquelles le cinq cents domine. On remarque même. aux angles inférieurs, des cornes d’abondance desquelles déborde la feuille chère aux Grecs. Mais il est à remarquer que tous les motifs feuillagés du VI e siècle sont agrémentés de volutes du XVIIIème siècle.
4- La quatrième partie : de 0,88 de hauteur, est en discordance complète avec le genre des trois autres.
Sous une arcade presque ionique, de 0,05 m d’épaisseur et de 0,15 m de rayon, se trouve un motif assez compliqué de 0,83 m de hauteur.
Le vase : c’est d’abord un vase fait de deux volutes inversées, feuillagées en acanthe et réunies sur une triple feuille de rose. Il repose par pied formé de deux folioles collées à la tige et reposant sur cinq feuilles d’acanthe formant chevalet. Du vase sortent des demi-volutes reposant sur des feuilles de rose. Enfin d’une double feuille d’acanthe, sort un vase de même forme que celui du bas, sauf le pied qui est effilé au lieu de s’épanouir en cinq feuilles et est formé de trois feuilles de rose en godet.
Sur ce vase, sont disposées six roses beaucoup plus finies que celles de la première partie. Elles sont placées en pyramides 3, 2 et 1, mais le rang le plus bas est formé de trois fleurs vues du côté de la queue, de même de celle du sommet, tandis que celles du centre sont représentées du côté du cœur.
L’arcade : est supportée par deux colonnes torses à spirales inversées. Ces spirales sont doubles. L’une présente une gorgerette encadrée de deux filets au trait, l’autre est en boudin plat.
Les colonnes : sont surmontées d’un chapiteau formé de trois feuilles d’acanthe et haut de 0,05 m.
L’architrave : formée par la baguette, est supportée par deux colonnes de 0,04 m à l’astragale, en relief plat et à angles de chanfrein, et coiffées de chapiteaux presque corinthiens faits de trois feuilles sous un abaque.
Le Torre : des quatre colonnes ne repose pas sur la base, mais sur un tronc de cône aux formes curvilignes qui ressemble à un chapiteau de pilastre renversé.
Les colonnes torses : sont surmontées, au-dessus de la corniche à linteaux de l’arcade, par un petit kiosque ou une petite pagode chinoise à un étage et coiffée d’un toit à angles relevés.
Les mêmes colonnes reposent d’abord sur une double plinthe, puis sur une volute en S feuillagée dans la première courbure et terminée en feuille d’acanthe.
Les grandes colonnes : sont assises sur un dé sans corniche et avec double congé en haut et en bas, coiffé d’une double plinthe et posé sur un socle. Sur le corps du dé, se trouve en relief plat un losange vertical.
L’écoulement de l’eau : se fait par le dessus du grand vase qui représente le milieu du motif. L’eau tombe dans une vasque semi-circulaire de marbre gris clair, haute de 0,28 m.
La faïence : Les deux côtés de la fontaine sont plaqués actuellement de faïence claire, dans le ton jaune et vert, sur une hauteur de 1,32 m et une largeur de 0,44m, se détachant très nettement, sans être criard, sur un fond de ciment blanc. Au-dessus de ces deux panneaux, un petit cintre en corniche à un boudin et un H…..el de 0.03 d’épaisseur et de 0.22 de rayon, encadre une plaque de marbre blanc portant des inscriptions explicatives.
Le sol : de la tranchée est pavé à deux pentes, les murs de soutènement sont raccordés en glacis avec le sol, de façon à bien dégager la fontaine.
La grille : Une grille légère et d’un joli effet entoure tout le monument.
RESTAURATION DE LA FONTAINE
A l’époque française, plus précisément en 1913, une restauration de la fontaine fut réalisée grâce aux efforts du capitaine Albert Maitrot de La Motte-Capron. C’était à l’occasion des fêtes du cinquantenaire de l’académie d’Hippone.
A cette occasion, il écrit d’ailleurs :
« Je suis des plus heureux de partager, avec ces Messieurs, le plaisir d’avoir arraché au vandalisme moderne ce gracieux vestige de l’époque de la Guerre en Dentelles.
Ce fut-là, de la part de la municipalité de Bône, souligner d’un geste élégant et bien français l’acte exquis du grand ancêtre qui a su acheter sa liberté non d’un peu de vil métal, mais d’une œuvre d’art sans valeur commerciale, d’un étincelle du génie latin »
Deux plaquettes en marbre fut rajoutées. Celle de gauche porte l’inscription suivante :
عين الأسير « Fontaine du captif » (XVIII e siécle)
Celle de droite donne son origine : « Rançon aux Turcs d’un Européen pris par eux ».
Au-dessous des plaquettes, ont été inscrits les noms de MM. Narbonne, maire de Bône, qui a autorisé les travaux, et Coudeyre, architecte de la commune, qui en a surveillé l’exécution.
ÉTAT ACTUEL DE LA FONTAINE
Les fondations des constructions mitoyennes ont coupé la fontaine de sa source d’eau, probablement une nappe phréatique. Sans parler du vandalisme dont elle fait l’objet : une partie du marbre, cassée, a disparu ; la faïence est brisée elle-aussi et l’absence d’évacuation la transforme en bassin de rétention en hiver, le dysfonctionnement du réseau de drainage des eaux n’aidant pas.
Aujourd’hui une intervention d’urgence est nécessaire pour la restauration de ce monument et son classement comme « monument national ».
En 2015 notre équipe s’est lancée dans une étude de faisabilité, en plus du volet historique, pour sauver cette fontaine. Nous avons confié cette étude à la mairie qui a lancé des travaux de réhabilitation 2016. Pour voir cette étude Cliquez ici
Le volet historique quant à lui a été confié à l’OGBC (Office National de Gestion & D’exploitation des Biens Culturels Protégés) en vue de classer la fontaine monument historique, sans suite à ce jour.
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Références :
Livre « Bone militaire 44 siecles de lutte» du Capitaine Maitrot
Livre « Annaba. 25 siècles de vie quotidienne et de luttes, tome II » de H’sen Derdour.
Livre « Bone, Hippone la royale tome II » d’Hubert Cataldo
Un remerciement particulier à Messieurs : Maghnine Mohamed Lamine, Dallel Arrar, Abderrazak Senouci, Attoui Réda, qui ont contribué à l’élaboration de cet article.
Je suis très intéressée par l’histoire d’Algérie, j’ai beau lu sur les sites historiques, c’est mon plaisir. Je vis à annaba depuis 2ans et demi, je cherchais toujours sur son histoires et cestvla première fois que je tombe sur cette fontaine. Mercivpour le partage de l’article et chapeau bas pour les efforts que vous avez faits.
Bonjour. Moi j’ai passé toutes mon enfances j’allais. toujours cherché. De l’eau ain acir 1975 mon grand père allah yarhmou. Lui venait écouter le rossignol chanter merci a tous pour les efforts a restauré cette fantaine