L’Hôpital civil des Caroubiers
Contexte historique :
L’histoire de l’hôpital se confond avec celle des médecins et de la médecine en général, mais aussi et surtout avec l’évolution des sociétés. Des lieux de soins ont existé depuis la nuit des temps à Bouna, cependant, ce dont on se souvient moins, c’est que l’évolution de ces lieux de soins se fit en parallèle des évolutions techniques, religieuses et sociales de leur temps.
Les diverses transformations entreprises, durant les premières années d’occupation française, ont fait perdre à la ville de Bouna sa physionomie originelle.
La construction du premier hôpital civil de Bône (Annaba) date de 1858, treize ans après le lancement du nouveau plan d’urbanisme français en 1845. Ce dernier traça les grandes lignes de la nouvelle ville française.
Par la porte des caroubiers, après la place de la Casbah, où était naguère la « porte des tombeaux » (Bab el mqaber) commençait la promenade des caroubiers au début de laquelle vint se placer l’hôpital civil de Bône (Annaba), à l’angle formé par ce chemin et le boulevard qui descendait vers la ville.
A l’emplacement d’un ancien cimetière musulman qui fut ainsi profané, sur une surface de 73 ares furent construites des baraques qui allaient constituer par la suite l’hôpital civil de Bône.
Travaux de réalisation :
Situé sur le flanc d’un coteau dominant la mer, l’hôpital devint très vite exigu et son agrandissement fut alors entrepris dès la concession, par le gouvernement général, en 1885, d’un terrain limitrophe de 2,18 hectares (Par Décret, le 16 Mars 1885, 2 ha, 18 a et 73 ca sont adjoints au terrain prévu pour la construction de l’hôpital civil, entre la porte des Caroubiers et l’hôpital actuel (terrain dit Ard el Guebour). Le même Décret attribue à l’hôpital, une maison de 480 m² au N°2 de la rue de Jemmapes et, à titre de dotation, deux emplacements à bâtir l’un sur le quai de la darse entre la douane et la rue de Guelma d’une surface de 1170 m² et l’autre de 1914 m² entre la rue de Guelma et le chemin de ceinture de la future gare de Bône. Cette même année, l’hôpital civil de Bône est autorisé à emprunter 150.000 francs pour continuer ses travaux de construction.
Les travaux d’agrandissement furent confiés à la société de construction du « système Tollet » qui les exécute au fur et à mesure de la disponibilité des crédits. Les travaux s’achèvent en 1895. C’est un type d’hôpital à pavillons disséminés (Il comprenait alors 15 pavillons et deux grandes baraques en planches avec une capacité d’hospitalisation de 328 lits), d’après les reliefs d’un sol accidenté et dont le nivellement eut entrainé des dépenses énormes.
Conception :
Depuis longtemps les hygiénistes protestaient contre l’excessive insalubrité des logements collectifs (casernes et hôpitaux), où la morbidité et la mortalité étaient le double, au moins, de celles que l’on constatait dans les logements ordinaires. Casimir Tollet (1828-1899), ingénieur architecte, après avoir servi pendant la guerre en qualité d’officier du génie, convaincu de la nécessité et de la possibilité d’une réforme, étudiait les moyens de la réaliser, en s’inspirant des vœux des hygiénistes et surtout de cet aphorisme de Ramazzani : « Tel air, tel sang », et en mettant en œuvre tous les progrès de l’art des constructions. C’est ainsi que prit naissance le « système Tollet », du nom de son inventeur et dont les bases, posées dans un programme complet, reposent sur des principes sanitaires et économiques admis à l’époque partout.
Le système Tollet
Le but principal de ce système est de réaliser la ventilation ascendante du faîtage dans les salles collectives, la seule véritablement efficace et permettant d’entretenir dans les enceintes closes un air respirable, au lieu de cet air vidé qui suffoque les personnes venues du dehors, surtout le matin, au réveil des malheureux qui en sont les victimes inconscientes. Inconscientes, car il est à remarquer qu’au bout d’un court séjour au milieu d’un air vicié, l’odorat n’en perçoit plus les odeurs les plus nauséabondes.
Le système Tollet reposait sur les principes suivants :
– Emplacement : en dehors des centres habités, sur un terrain bien exposé perméable, facile à drainer et pourvu d’eau potable.
– Surface de terrain croissant en progression avec l’importance des logements collectifs.
– Fractionnement et réduction de la densité des masses hospitalisées dans de petits pavillons de 50 lits et des salles de 20 lits au plus, pourvus de tous les accessoires nécessaires pour former un petit hôpital, avec son outillage complet.
– Salles de nuit et salles de jour, afin d’obtenir un lavage par l’air extérieur et une sorte de rajeunissement des enceintes par l’alternance de leur occupation.
– Non-superposition d’étages de dortoirs.
– Surfaces et cubages d’air individuel, croissant dans les salles, en progression avec le nombre des lits.
– Séparation des diverses catégories de malades, de blessés et des services dans des bâtiments spéciaux, disposés pour leur destination.
– Pavillons et ambulances isolés pour les contagieux.
– Dissémination des divers bâtiments sur toute la surface de terrain dont on dispose.
– Réduction des parcours au minimum.
– Orientation régulière et parallélisme des bâtiments», espacements d’une largeur de trois fois leur hauteur (mesurée de lattage à faîtage).
– Ossature en fer de forme ogivale, formant le moule de la construction et favorisant la ventilation naturelle et l’expulsion de l’air vicié par l’angle dièdre curviligne du faîtage.
– Enveloppe interne facile à renouveler économiquement, lorsque les surfaces seront infectées.
– Augmentation, au maximum, des surfaces extérieures ou d’aération.
– Réduction, au maximum des sources d’absorption, par conséquent suppression des greniers, refonds, corridors et des cloisonnements intérieurs.
Le systéme Tollet est appliquée aux hôpitaux de Saint Denis, Montpellier, Bichat, Argenteuil, Le Havre, Lugo di Romania, Toulon, Bourges, Le Mans, Bône…etc
Tout ce programme formait un ensemble d’innovations dont l’application est commandée par des nécessités sanitaires, et avait donné les heureux résultats qu’il fallait en attendre.
L’aspect architectural n’a pas non plus été négligé, car un bon aspect ne peut que seconder les effets de bonnes dispositions sanitaires. Un pavillon hors-œuvre se démarque de l’ensemble de l’hôpital avec son fronton et sa toiture bombée à quatre versants.
L’entrée initiale de cet hôpital était située à l’angle et ce n’est que plus tard qu’elle fût transférée sur le boulevard des caroubiers qui porte ce nom par les nombreux arbres aux gousses de caroube très lourdes qui en bordaient le chemin. Les pavillons sont établis sur un soubassement élevé dans lequel on a établi des promenoirs, des salles de lecture et de récréation, des magasins, les calorifères, etc.
Fonctionnement :
L’évolution de l’hôpital est ensuite progressive. Les débuts sont modestes : deux médecins, l’un chargé de la médecine, l’autre de la chirurgie (le plus gradé est médecin-chef de l’établissement), un pharmacien, un officier-gestionnaire, quelques sous-officiers auxquels se joignent des autochtones de plus en plus nombreux et de mieux en mieux formés. L’hôpital comporte une salle d’opération, une maternité, un laboratoire, un quartier d’aliénés… mais aussi la cuisine, la lingerie, le garage…
A l’intérieur de l’enceinte de l’hôpital, les hommes et les femmes étaient séparés. De plus, les patients étaient divisés en catégories médicales distinctes : fièvres, fièvres malignes, chirurgie (pour les blessés) et convalescents. Le personnel comprenait des sœurs de la Charité. Cet ordre avait été reconnu après la révolution française comme donneur de soins religieux.
A ce titre, ses membres devaient abandonner toute prétention à pratiquer la médecine. Les fonctions des sœurs étaient limitées à des tâches ménagères et religieuses alors que les médecins, contrôlaient les cuisines et les pharmacies.
Au début, l’intitulé des services reste militaire : service des fiévreux et des contagieux pour la médecine, service des blessés pour la chirurgie. La qualification des personnels se précise. L’hôpital employait également des infirmiers masculins, un portier, un jardinier ainsi qu’une cohorte d’aides que l’on nommait alors garçons et filles de service.
Les différents pavillons composant l’hôpital civil de Bône étaient le service « Hommes », le service « Femmes », le service « Garçons », le service « Filles », ainsi qu’une maternité et un dispensaire.
L’arrivée du courant électrique révolutionnera, par la suite, les conditions de travail : les interventions chirurgicales se font sous un scialytique, les autoclaves et les étuves se modernisent… Plus tard, la radiologie, la réfrigération et la chaîne du froid transforment l’exercice médical.
En 1904, il est cédé gracieusement à l’hôpital, pour installation de tentes en cas d’épidémie, deux parcelles productives de revenus de 9539,40 m².
D’autres structures hospitalières furent construites par la suite dont l’hospice Coll (actuellement hôpital Dorban) en 1876.
La couverture sanitaire et l’accès aux soins étaient différents selon que l’on fasse partie de la population coloniale ou autochtone. Les hôpitaux et hospices existant étaient destinés en priorité, pour ne pas dire uniquement, à la population coloniale (colons, marchands, et cadres européens ainsi que pour le personnel indigène employé par l’administration). Lorsqu’ils n’étaient pas submergés d’Européens, les populations locales pouvaient accéder à ces établissements.
A l’indépendance, l’hôpital civil fut rattaché au sanatorium des caroubiers (actuellement CHU Ibn Sina), construit un peu plus haut, et certaines spécialités continuèrent à y être pratiquées (comme la psychiatrie, jusqu’à la construction de l’hôpital Razi plus tard).
En 1988, en créant le secteur sanitaire Frantz Fanon, cet hôpital fut malheureusement transformé, par ses gestionnaires, en une multitude de bureaux inutiles et en logements de fonction contribuant ainsi à sa lente mais sûre dégradation. Ce haut lieu, riche d’histoire, (dont des archives datant du XIXème furent jetées dans des caves et des greniers abandonnés aux rongeurs) tomba ainsi en déliquescence jusqu’à ces dernières années où fut décidé sa réhabilitation en SAMU pour les urgences médicales du CHU Ibn Sina.
Par M. Mourad BOUMAZA, Docteur en médecine.
Références :
L’histoire des hôpitaux, un aperçu sur la santé à Annaba à travers les siècles, par le Dr Mourad BOUMAZA, édité à Alger, 2008.
Merci beaucoup pour ces informations
La première gravure de la médina est magnifique.