L’Hôtel de ville
L’Hôtel de ville : L’objectif de ce modeste article est de mettre en évidence et faire redécouvrir un des édifices historiques de la ville d’Annaba tout en illustrant son esthétique et sa mémoire.
Conçu par l’architecte français Denis Marius TOUDOIRE, l’hôtel de ville est d’un style architectural éclectique (1830/1914), un style qui annonce le commencement d’une nouvelle ère de construction moderne et diversifiée et qui a fait du bâtiment une œuvre architecturale loin d’être banale.
Situation de l’Hôtel de ville
L’Hôtel de Ville est situé sur l’ancienne enceinte de la médina, détruite par l’armée française pendant l’occupation pour mieux contrôler la population locale en cas de rébellion.
Il se situe exactement à la limite entre deux mondes divergents du point de vue architectural, urbanistique et culturel que sont la médina et la nouvelle ville. Située au cœur de la ville, la mairie est aujourd’hui facilement accessible pour tous les habitants de la ville, ce qui augmente sa fréquentation et de ce fait son importance administrative.
L’Hôtel de ville se situe également dans la partie nord du cours de la révolution côtoyant plusieurs monuments à haute valeur symbolique, culturelle, juridique et administrative comme le palais de justice, le théâtre ainsi que la terrasse surélevée qui remplace l’ancienne cathédrale (complètement disparue par choix des pouvoirs publics, après 1962). Le fait que l’hôtel de ville soit entouré de bâtiments importants rajoute à son prestige.
Contexte de la création de l’Hôtel de ville
1879 était une année de renouvellement pour la ville d’Annaba. Un chemin de fer a été installé, la construction d’une gare s’est imposée et Annaba a vu son rayonnement s’élargir au niveau du département de l’Est algérien. Elle débordait enfin de ses propres remparts et la construction d’un édifice à part, l’Hôtel de ville, était une action inévitable : ce rayonnement avait besoin d’un lieu de centralisation de pouvoir public.
Architecture
1-Le style architectural de l’Hôtel de ville
Avant la révolution française de 1789, l’architecte et l’architecture étaient au service du roi. Après la révolution, l’architecture est enseignée à l’école des Beaux-Arts et n’est plus contrôlée par les pouvoirs publics : la créativité des architectes est ainsi plus libre. Cela a permis la naissance de l’éclectisme, un style qui reproduit les anciens styles architecturaux mais d’une façon sans précédent. Il combine plusieurs styles architecturaux dans le même édifice, le tout avec harmonie et génie : chaque bâtiment construit avec ce style est unique.
A titre d’exemple, l’Hôtel de ville de Tours (France) réalisé quelques années plus tard entre 1896 et 1904 par l’architecte Victor Laloux est un exemple qui reprend un peu la configuration architecturale éclectique de l’Hôtel de ville d’Annaba.
2-Les architectes concepteurs
L’Hôtel de ville a été conçu par l’architecte Denis Marius TOUDOIRE. La municipalité de Bône cherchait une allure à l’édifice, une allure qui correspondrait au prestige de cette nouvelle ville. Un concours est alors lancé pour la conception du bâtiment : il est remporté par TOUDOIRE.
Les travaux ont duré 4 années consécutives de 1884 à 1888, dirigés par l’architecte GONSSOLIN, « père de l’architecture de Bône » et ont coûté 1 200 000 Francs à l’époque.
Plus tard en 1931, c’est au tour des architectes associés NAZ et BUTIGIEG d’intervenir sur la décoration intérieure qui, aux yeux de la municipalité, n’avait pas été assez poussée. Le maire de Bône cherche à réaliser l’accord indispensable de toutes les parties du monument pour en faire une œuvre cohérente et achevée.
Les trois salles intérieures ornées d’une décoration aux lignes amples, soulignées de colorations vives rehaussant ainsi le caractère festif de leurs destination (mariages, etc.)
La salle des mariages a d’ailleurs été l’objet de soins particuliers et d’une plus grande richesse de décor.
Pour les architectes, la lumière devait avoir une place importante. C’est pourquoi toutes les fenêtres sont en vitraux, aux couleurs chatoyantes parsemées de points brillants. Ils ont ainsi créé cette atmosphère de juvénilité et d’allégresse débordante qui caractérise en quelque sorte la grande époque artistique de la Renaissance.
Enfin, en ce qui concerne la lumière artificielle, pour éviter un anachronisme qui aurait pu sembler choquant, des dispositifs d’éclairage indirect dissimulés dans les éléments des plafonds en caisson sont prévus.
L’exécution des travaux est confiée aux Etablissements Doré, du Havre, d’excellents décorateurs-éditeurs de l’époque qui avaient d’ailleurs déjà réalisé la bijouterie Raymond, les Galeries de France à Bône.
3-Structure et détails architecturaux
-L’édifice : l’Hôtel de ville est composé d’un unique pavillon horizontal occupant une superficie de 1140 m2, composé de deux étages, conçu selon un plan rectangulaire donnant quatre façades. Aucune extension n’a été réalisée par le passé ou envisagée dans le futur. Le bâtiment n’a subi aucune dénaturation si ce n’est au niveau du toit, consumé par un incendie criminel le 20 juin 1962 commis par l’Organisation de l’Armée Secrète (OAS). Depuis, il n’y a malheureusement aucune volonté politique de la part de la municipalité pour le reconstruire : le toit est une perte gigantesque pour ce monument, pour le paysage de tout le square et pour la mémoire collective.
-Les façades : La façade principale est celle qui donne directement sur le cours de la révolution. La façade Est, en face de la vieille ville, est la seule à ne pas être décorée. Cela témoigne de la négligence envers la vieille ville par les colons français.
Horizontalement, l’étage inférieur est une colonnade et l’étage supérieur une rangée de baies cadrées par des pilastres ou des niches. Verticalement, la décoration des trois façades est parfaitement symétrique par rapport à un axe vertical au centre de la façade principale.
La façade principale est organisée en trois parties : la droite et la gauche qui sont identiques, et le milieu qui est différent. En effet, les colonnes de la partie du milieu sont couplées alors que dans les deux autres parties elles sont séparées. Les baies des côtés droit et gauche sont plus larges que celles du milieu et elles sont cadrées par des niches.
Les façades nord et sud ne reprennent pas exactement la même organisation que celle des côtés droit et gauche de la façade principale. La partie de l’étage inférieur est formée de deux arcs cintrés dont l’un est une ouverture vers la colonnade. Quant à la baie de l’étage supérieur, elle n’est pas cadrée de niches.
L’alternance de tous ces éléments dans les trois façades brise totalement la monotonie, qui peut donner un paysage froid, et assure ainsi une parfaite attirance visuelle. Une alternance très recherchée qui fait de l’édifice une véritable œuvre d’art.
-Les baies : toutes les baies des façades externes sont de style architectural Louis XVI. Elles sont rectangulaires et ornées de balustrade, de corniches et de clés de voûte, le tout avec beaucoup de sobriété. Les baies de la partie du milieu de la façade principale sont encadrées par des pilastres comme au style renaissance. Les autres baies des deux côtés sont encadrées par des niches pour accueillir une statue en plein pied, niches fortement utilisées dans l’architecture d’antiquité et utilisées dans les temps modernes pour donner un jeu de lumière à l’admirateur du bâtiment. L’absence des statues est peut-être due au manque de budget.
-Les colonnes et les pilastres : Les colonnes avec chapiteaux d’ordre ionique de l’époque grecque archaïque et fûts monolithe épurés des temps modernes ont une couleur bleu grisâtre différente du reste du Bâtiment. Elles sont faites d’une matière différente, un marbre local venant de la carrière de « Filfila » à Philippeville (actuelle Skikda) exploitée depuis l’antiquité romaine. Les soubassements quant à eux sont en granit issu de la carrière du cap de garde à Annaba.
-Chapiteau ionique d’une colonne
La colonnade est en même temps un élément d’ornement, de portation et aussi d’unification du paysage (l’Hôtel de Ville avec les autres bâtiments mitoyens). Les pilastres sont doublés et leurs chapiteaux adossés au mur sont d’ordre corinthien (très utilisés en Grèce ou Rome antiques).
-Le toit : Avant sa disparition, il attribuait à cet édifice une très forte distinction, au regard des bâtiments de la ville d’Annaba. Il lui donnait également une haute qualité paysagère. Il était à la Mansart en forme de terrassons et brisis. Il était entièrement couvert d’ardoise naturelle rectangulaire. Les éléments d’ornement du toit sont : lucarnes à frontons triangulaire de l’architecture romaine, deux cheminées, un campanile qui se termine par une coupole couverte en ardoise également dans laquelle était suspendue une cloche. Celle-ci avait la fonction d’un métronome de la ville dans le but d’ordonner la vie citadine et aussi pour faire appel au rassemblement en cas de discours prévu par une personne influente comme le maire.
Tous ces éléments sont perdus après l’incendie. « Les deux cheminées semblent deux bras tendus vers le ciel. Les cigognes et les pigeons évoluent sans fin à la recherche de leurs nids« , peut-on lire dans le journal La Dépêche de l’Est, le jeudi 21 juin 1962. Depuis, il n’y a aucun intérêt de la part des décideurs pour les reconstruire. Le toit est une perte gigantesque pour ce monument et aussi pour le paysage de tout le square.
Actuellement, il ne reste que l’horloge et son propre ornement. Elle est entourée d’une bordure en relief, mise en valeur par quatre fleurs de lys. Au-dessus de l’horloge se trouve un fronton triangulaire en relief également, de style renaissance, abritant les armoiries de la ville. Mais la fonction de l’horloge n’était pas seulement décorative : elle était un indice de modernisation urbaine et cela depuis le 14ème siècle dans toutes les villes européennes.
Deux cariatides cadrent l’horloge. Elles sont sculptées avec grande précision et perfection : les courbes, le drapé et les autres objets. La cariatide de gauche portant une épée représente le pouvoir de la France. Celle de droite, portant un panier, représente les richesses de l’Algérie. Réalisées par M. Brunet, statuaire à Paris, ces statues sont parmi les plus belles sculptures urbaines de la ville.
L’horloge et les cariatides se complètent avec le toit. Même si elles sont de très belles œuvres, leur valeur artistique est amoindrie par l’absence de ce dernier.
-Menuiserie : le monument a été pensé dans les moindre détails avec, entres autres, des portes en ferronneries de qualité supérieure, encore debout aujourd’hui.
Même la quincaillerie est conçue pour perdurer comme en témoignent aujourd’hui les archives de la mairie. Des maison renommées sont consultées, tel que Bricard et Sterlin.
Etat des lieux et synthèse
En dépit de l’existence d’une multitude de mairies dans la ville, dont certaines sont d’ailleurs plus importantes que d’autres, l’Hôtel de ville demeure perçu par les bônois et les bônoises comme le lieu administratif principal de toute la région d’Annaba. Il mérite de ce fait tout l’intérêt qu’il mérite pour être restauré et entretenu.
Les Hôtels de ville sont des édifices d’institutions nouvelles pour les architectes. Ils n’ont pas d’anciens modèles millénaires à prendre comme référence car ils n’existaient pas avant le 16ème siècle. Il en résulte que chaque mairie du régime français témoigne d’une importance architecturale par sa singularité : aucune mairie n’est une copie d’une autre. L’Hôtel de ville d’Annaba doit donc être protégé car c’est un édifice unique.
Annaba est située dans la région la plus pluviale de l’Algérie. En conséquence, l’humidité peut mettre en péril le bâtiment. Les autorités locales concentrent tous leurs efforts pour entretenir continuellement l’étanchéité de l’édifice. Cependant, pour une meilleure gestion du bâtiment, il serait préférable de refaire les combles : car même si le coût des travaux est plus onéreux au moment de leur réalisation, cela est plus rentable à long terme.
Les colonnes, avec leur belle couleur et leur design, sont souvent utilisées pour afficher des posters de la ville notamment en période de vote. Cela appauvrit l’esthétique de l’édifice. Les affichages devraient être complètement interdits par les autorités publiques.
Une question se pose alors : pourquoi un édifice aussi prestigieux n’est-il pas classé « Monument historique » ?
Par Hanène LAOUAR
Urbaniste de l’université des sciences et technologies de Lille, France
Bibliographie
Livres
Comprendre l’éclectisme, Jean-Pierre Epron, 1997, Ed.Norma
Comprendre l’architecture, Carole Davidson Cragoe, 2016, Ed. Larousse.
Revue Les Chantiers nord-africains, édition juillet 1931
Articles
Alignement et extension : des plans pour Bône : Éléments sur l’application de l’urbanisme à la française en Algérie : 1855 et 1932-1933, de Nadia Bensaâd Redjel et Belkacem Labi dans les Cahiers de géographie du Québec
Eléments sur la continuité entre plans d’urbanisme colonial (Bône milieu XIXe–Début XXe siècles) Nadia Bensaad & Belkacem Labi, UBMA.
Journaux
La Dépêche de l’Est, jeudi 21 juin 1962
L’Afrique du Nord illustrée, 21 juin 1913
Sites internet
http://www.culture.gouv.fr/public/mistral/leonore_fr?ACTION=CHERCHER&FIELD_1=COTE&VALUE_1=LH%2F2616%2F3
http://archivesetmanuscrits.bnf.fr/
http://journals.openedition.org/encyclopedieberbere/1938
Il est souhaitable de refaire la toiture une equipe de technicien peut se deplacer a Tour ou il y a une replique
Bonjour Nehal,
Merci beaucoup pour la recommandation mais des gros travaux de la sorte doivent être pris en charge par des organismes decideurs ou investisseurs ou autres. Notre groupe n’a pas les moyens de refaire la toiture.
Jevous remerci pour les documents d.archives en voudrer bien d.autre expliquation sur la ville de bone meci
Bonjou Abdelhamid,
On fait ce qu’on peut avec les moyens qu’on dispose. C’est pourquoi on apprécie des questions précises sur le sujet.
Merci beaucoup d’avoir pris le temps de commenter.
je suis née à BONE mon père était médecin à bone son cabinet rue négrier et il était chef de service à l hopital de BONE quant on est parti de BONE ON A REMARQUé QUE DANS LA NUIT VOUS AVIEZ abattu la cathédrale de BONEun vrai scandale elle ne vous avez rien fait cette cathédrale.et en FRANCE ON VOUS CONSTRUIT DES MOSQUEES je regrette tout les bienfaits que mon père a fait quand il exercé à BONE.
Bonjour Madame,
Il ne faut jamais regretter de faire du bien.
La destruction de la cathédrale était un choix politique. Qui peut s’interposer à choix politique ? Vous ? Moi? Non on est juste des simples citoyens. Veuillez, s’il vous plaît, cesser de généraliser car la France a fait bien pire ( l’exemple des juifs pendant la deuxième guerre mondiale. Je pense que le passé appartient au passé.
Nous sommes en 2019, on doit passer à autre chose.
Avec tout mon respect pour vous et votre père.
Bonjour,
Merci d’avoir pris le temps de commenter cet article. Si vous avez des interrogations à propos du sujet, laissez un commentaire et je vous réponds.
Au plaisir !
Bonjour Nehal,
Merci beaucoup pour la recommandation mais des gros travaux de la sorte doivent être pris en charge par des organismes decideurs ou investisseurs ou autres. Notre groupe n’a pas les moyens de refaire la toiture.
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Bonjour,
s’il vous plait on a besoin de plan de cet édifice
Bonjour, Natif de Bône, j’ai beaucoup apprécié votre article, avec description détaillée de la belle Mairie de Bône /Annaba, j’habitais à côté de la Mairie et m’y suis marié. Je pense que le classement et la réfection du toit de cet édifice doivent être une priorité pour Annaba. Vous devriez chercher à la Chambre de commerce si il n’y a pas encore les plans. Si non il faudrait constituer une association pour la réfection des édifices du passé, (si elle n’existe déjà) qui pourrait rechercher une participation du mécénat algérien. Ainsi elle pourrait se déplacer à Tour où la Mairie est semblable à celle d’Annaba. Nous les natifs, et pour moi à la quatrième génération, vous sentons toujours Algérien malgré la non reconnaissance de l’administration actuelle. Une page certes est tournée mais elle n’effacera jamais l’amour du pays de naissance, de ses habitants et de sa ville. Bien cordialement Georges BAILLY