REVUE DE PRESSE

L'Est republicain

07-10-2015

Le 11-08-2013

Contribution : L’agonie du centre historique de Bûna-Annaba

L’épisode de la destruction d’une page de la mémoire de Annaba, à savoir la violation de la dernière koubba des «Sept dormants» et le silence qui a suivi le mouvement d’indignation face à ce crime, doivent nous faire faire poser la question du passé et du devenir de la sauvegarde du patrimoine annabi, notamment celui de la madina médiévale, Bûna. D’autant que Buna-Annaba avait connu des occasions de sauvegarde manquées.

Les premiers pas dans la sauvegarde de la madina de Bûna-Annaba ont été l’inscription de quelques-uns des monuments-phares de l’histoire urbaine de notre ville, et ce, jusqu’à la fin des années 1970. Mais la surpopulation de la madina, la vétusté rampante du bâti, le laisser-aller menaçaient ce patrimoine historique de disparaître. D’autant que certains responsables ont eu la velléité d’entreprendre la destruction de monuments historiques (la kubba de Sidi-Brahim allait être rasée sur instruction d’un wali, en 1976 ; l’aqueduc romain fut détruit par les services techniques de l’APC en 1986). Il fallait aller plus loin dans la sauvegarde, autrement dit procéder à son renforcement juridique, d’une part, et à adjoindre le volet restauration et réhabilitation, d’autre part. Une première tentative, menée par le président d’APC, le défunt Chekmam, a été de provoquer un débat avec les habitants de la madina pour susciter prise de conscience et initiative pour la préservation de ce patrimoine. L’initiative est morte avec son départ. C’est une première occasion sérieuse manquée.
En 1984, une nouvelle initiative fut entreprise par la wilaya. Une cellule de réflexion autour des questions relatives à la conservation et à la restauration de le la ville médiévale était installée en juillet 1984. La cellule avait réuni, entre autres, la DUCH, la direction de la planification et de l’aménagement du territoire, de l’APC, du conservateur d’Hippone et d’autres. Au terme de plusieurs mois de débats, la cellule a adopté un document qui précise les orientations et les principes pour la sauvegarde de la madina historique de Bûna-Annaba :
Conclusions de la cellule :
«Orientation et principes pour la sauvegarde de la «madina historique» (Bûna) de Annaba

I-Préambule
Les étapes de l’histoire de Annaba démontrent que le «centre historique» de Annaba est plus que millénaire, en ne prenant compte que la date à partir de laquelle «Bûna Al-Hadîtha» est fondée à la fin du Xe siècle ap. J.-C.. Ainsi le Centre historique a-t-il connu la période Zirido-Hammadite, celle des Muwahhidûn, le sultanat hafside et celle des deys et la période coloniale.
De ce fait, la madina historique est le résultat d’une succession de strates culturelles, spirituelles, politiques et matérielles, nombreuses qui se sont interpénétrées dans un ensemble urbain qui n’a cessé de vivre et de s’adapter chaque fois aux situations et aux évolutions nouvelles.
Néanmoins, une rupture fatale va se produire dans cette continuité : la colonisation. Celle-ci, après avoir adapté momentanément une partie de la madina historique, la marginalise dès la fin du XIXe siècle. Activité administrative, économique, etc., se transplantent dans la ville européenne.
D’autre part, humainement, la madina historique devient un ghetto pour les Algériens en général dans un premier temps, puis avec le départ successif des anciens propriétaires vers la nouvelle ville, la madina devient un ghetto pour les classes sociales humbles ; ce phénomène s’accélère au lendemain de l’indépendance où la madina historique subit l’exode rural qui «gourbifie» relativement l’habitat ancien. Cependant, il faut mentionner que la «madina historique» de Annaba, malgré cette marginalisation, sera durant toute la période de lutte nationaliste avant 1954, et durant la période de la révolution armée de 1954 à 1962, un bastion et le haut lieu d’actions contre le colonisateur. La «madina historique», malgré son double caractère historique, n’en sera pas pour autant réhabilitée après 1962. Si elle reste le lieu où l’aspect spirituel l’emporte, grâce à la présence des mosquées Abû Marwân et El Bey, elle ne devient pas moins «gourbivisée» et marginalisée tant socialement qu’économiquement, à tel point qu’elle est devenue synonyme de «mauvais endroit» et de repaire de drogués, de délinquants et autres maux !

II- La madina historique : zone sauvegardée
Jusqu’ici, le sort de la madina historique a été ballotté entre l’ignorance de son existence et les velléités de réhabilitation, ou bien la simple tendance à sa destruction.
Des procédures ponctuelles ont permis ainsi l’inscription sur la liste du patrimoine historique national :
– les citernes d’Hippone ; – les ruines d’Hippone ; – la citadelle de la Kasaba ;- le fort des Suppliciés ;- les vestiges des remparts ;- le mausolée de Sidi Brahim ; – la mosquée Abû Marwân ;- la mosquée Salah-Bey.
Mais il faut reconnaître qu’une action de protection effective, de réhabilitation et d’insertion dans le développement global reste à faire ; la vision d’ensemble et la liaison entre ces éléments, d’une part, et entre ces éléments et l’urbanisme, d’autre part, font défaut.
Aujourd’hui (1984), inspirée de l’affirmation de la mise en valeur et de la préservation du patrimoine national historique, contenue dans la Charte, dans les textes fondamentaux depuis le 4e congrès du FLN, et confortée par l’adoption du dossier culturel, la mise en place de la présente cellule de réflexion prend en charge et reconnaît à la madina historique son droit de cité. A la lumière de cette volonté politique étayée par l’histoire plusieurs fois millénaire de la commune, et millénaire de la madina de Annaba, la cellule de réflexion déclare la madina historique zone sauvegardée en sa qualité de centre historique et ensemble urbain spécifique. Cette procédure mettra ainsi la madina historique sous la protection de l’ordonnance 67-281 et soumettra toute action d’intervention au niveau de ce centre historique aux servitudes des monuments classés. Le fait de la proclamer «zone sauvegardée» permet d’assouplir le concept de «monument classé», notamment en matière d’intervention, telle que présentée dans le § IV-2 de l’ordonnance (principes d’intervention).
Au sein de cette «zone sauvegardée», l’identification et l’inventaire des monuments ou d’ensembles monumentaux, se fera en fonction de deux aspects : l’aspect historique et l’aspect fonctionnel.
Historiquement, deux grandes périodes se rattachent à la vie de la madina :
1- La période de l’an 1000 à 1832, qui elle-même peut se subdiviser en deux âges :
a- l’âge des dynasties musulmanes indépendantes (des Sanhâdja aux Hafsides) ;
b- l’âge de l’Etat algérien moderne (1540-1832).
2 – La période coloniale : 1832-1962, qui se subdivise en deux étapes :
a- l’étape 1832 à 1860 environ, où la colonisation utilise la madina effectivement et la réaménage en fonction de son utilisation propre ;
b- l’étape 1860 à 1962, où la madina est progressivement marginalisée.
Fonctionnellement, les monuments ou les ensembles monumentaux se répartissent en trois types :
1- Les monuments défensifs :
a- les remparts avant 1832 et après 1832 ; le fort des suppliciés ; b- la citadelle des Caroubiers ; c- les différentes batteries après 1832 ; d- la caserne (transformée en Centre IAP (faculté de droit] ; e- bâtiment du secteur militaire (actuellement du service national) ; f- ex-mess des officiers (place Ben Bakka).
2- Les monuments publics
a- avant 1832 : mosquée Abû Marwân ; mosquée du Bey ; oratoires, tombeaux de personnalités religieuses ; écoles coraniques ; cimetières (Zaghouan, notamment).
b- Après 1832 : hôtel de ville ; Palais consulaire ; Chambre de l’agriculture ; écoles ; place du 19-Août.
3- Habitat et économie :
a- Le noyau central antérieur dans son ensemble à 1832 ;
b- La couronne périphérique, de type colonial et européen.
L’ensemble de ces monuments, faisant partie de cette «zone de sauvegard», faisant donc partie du patrimoine national «sont placés sous la sauvegarde de l’Etat» (Ord. 67-281 ; art. 19).

III- Status du patrimoine de la madina
Les biens situés dans la madina historique diffèrent de statut. D’une manière globale, l’ensemble des édifices publics antérieurs ou postérieurs à 1832 appartiennent à la propriété de l’Etat ; il en est de même des immeubles d’habitat ou d’activité «dévolus à l’Etat» après 1962. La propriété privée individuelle, ou indivise dans le cadre du hubus concerne les habitats ou magasins antérieurs à 1832 ; néanmoins, certains immeubles «biens de l’Etat» sont en train de passer à la propriété privée individuelle. Signalons, pour mémoire, que certains édifices à caractères religieux et culturel (écoles coraniques ; zaouïas…) pourraient faire partie d’un ensemble wakf».
C’est dire la variété des statuts juridiques, à laquelle il faut ajouter que l’habitant ou l’utilisateur du local est assez souvent locataire, ce qui, en soit, ajoute un statut supplémentaire. Ces statuts, globalement inventoriés, feront l’objet d’un inventaire poussé et détaillé par les soins des services compétents. Cependant, quel que soit le régime de propriété ou d’usufruit, les biens situés en «zone sauvegardée» «ne peuvent être ni aliénés ni détruits, sans autorisation du ministre chargé des Arts. Ils sont imprescriptibles» (Ord. 67-281, art.1). Ce patrimoine, même appartenant à des particuliers, et tout en étant maintenu dans «la propriété et la jouissance de ces particuliers», est soumis aux mêmes servitudes que le «patrimoine de l’Etat» (Ord.67-281, art.2).

IV- Sauvegarde – Réhabilitation et insertion
1- La situation actuelle : la madina historique, qui était la ville tout court jusqu’en 1832, reproduit le type d’urbanisme spécifique à la cité arabo-musulmane, simplifiée en ces termes : «madina = mosquée + souk + quartiers d’habitations, ceints de remparts», éléments auxquels il faut ajouter la fonction politico-administrative. La madina de Annaba, en bref, était le centre moteur de sa région. Ce rôle, elle le perdra progressivement à partir de 1832.
Le processus de dégradation se met en branle : à la dégradation politique et économique succède la dégradation physique qui se poursuit encore ; les quartiers ne paraissent plus refléter leur véritable valeur, tellement leur aspect actuel porte les marques du phénomène colonial et des déséquilibres post-coloniaux.

Ainsi, la madina historique se voit briser son évolution par la fondation à ses portes de la nouvelle ville européenne qui installe un mode de vie différent, une production industrielle d’importation à meilleur marché que l’artisanat, et tout un processus de dégradation du potentiel économique, résidentiel et culturel de la vie citadine traditionnelle. Les citadins de la madina historique la quittent peu à peu. Ils sont remplacés par des habitants charriés par les différents exodes ruraux : la madina gonfle. Après 1962, l’exode et la pression démographique sont tels que la madina atteint près de 30 000 habitants, ce qui correspond au triple de sa capacité au minimum. Le résultat en est que l’habitat a perdu son contenu traditionnel et se transforme en habitat misérable, dégradé ; les nouveaux habitants ne sont pas préparés à habiter une maison en madina : le résultat immédiat est la détérioration de la demeure traditionnelle. Ceci aboutit à une dégradation physique qui a abouti au pourrissement des édifices et leur ruine. Le cœur de la ville ayant été déplacé, il n’y a plus – topographiquement – que deux éléments juxtaposés : la madina historique, qui n’est plus la madina, et un noyau moderne, distincts l’un de l’autre, sans avoir pu trouver la continuité nécessaire à la constitution d’une ville homogène.
Reconnaissons, cependant, que la madina historique a résisté à la destruction. Elle est restée le lieu privilégié spirituel (c’est là que s’est située pendant longtemps la mosquée cathédrale). Le repli sur elle-même est, en soi, un élément de résistance. Enfin, lors de la guerre de Libération, elle a été un bastion de la résistance. Ce que ni le temps ni l’érosion coloniale n’ont pu détruire, bien que dans un état alarmant, ne saurait être condamné par nous. Car il devient impératif de sauver l’urbanisme de la madina historique dégradé et gravement compromis, et aussi de revaloriser notre patrimoine culturel longtemps négligé et même renié par certains qui, par avant-gardisme mal placé, considèrent qu’il y a contradiction entre le progrès et l’attachement au patrimoine culturel «dépassé» selon eux. Il s’agit donc d’une politique de restauration scientifique à engager dans la madina historique.
Certes, cette opération sera onéreuse et nécessitera la mise en place de moyens conséquents et des spécialistes, mais elle est pleinement justifiée par la sauvegarde et la revalorisation du patrimoine historique. 2- Principe des interventions : Précisons-le dès l’abord : l’effort de sauvegarde et de réhabilitation n’exclut nullement la marche en avant. En effet, il s’agit d’intégrer la sauvegarde de la madina historique dans le cadre de la politique d’aménagement du territoire.
D’autre part, cette madina, chargée d’histoire et imprégnée de culture, doit être intégrée, fidèle à elle-même, dans le monde actuel en plein essor économique et technologique. Cette formule permettra à la madina historique de rester elle-même, mais de pouvoir, également, bénéficier des progrès et d’un équipement moderne, et de survivre dans ce monde en pleine évolution, pour continuer à transmettre son message sacré aux générations futures. La madina historique ne sera pas donc considérée seulement comme cadre des monuments qu’elle renferme, mais comme un tout homogène, présentant en outre un grand intérêt historique, esthétique et culturel.
3- Les axes d’intervention : de graves problèmes se posent aujourd’hui à la madina historique, surtout au niveau des rues, des boutiques, des maisons. La sauvegarde et la réhabilitation doivent arrêter la dégradation, assainir l’urbanisme en introduisant des conditions de vie décente et moderne et, s’il faut, donner des fonctions nouvelles à la madina historique.Le plan d’urbanisme de la madina historique doit être établi sur la préservation des structures anciennes et leur adaptation à des réalités nouvelles. «La réinsertion et l’intégration du tissu de la ville passe par la satisfaction des besoins de sa population en matière d’emploi et d’équipements.»
Un plan minutieusement préparé doit comporter un volet de mesures urgentes pour sauver les parties les plus menacées de la madina historique et un volet d’opérations à moyen terme qui doivent s’intégrer dans les plans d’aménagement de l’espace urbain ; cette planification doit aussi prévoir la formation ou le recyclage des spécialistes.
Les mesures urgentes comprendraient :
a- la dédensification de l’occupation du sol aussi bien dans les maisons traditionnelles que dans les immeubles hérités de la période coloniale. Cette opération doit aboutir à une augmentation de l’espace et responsabilisera davantage les occupants restants en matière d’entretien, de réparation et d’assainissement ;
b- la libération de maisons — notamment d’un certain standing – ouvrira la voie à la restauration par le propriétaire, soit la cession du bien à l’Etat qui pourrait réutiliser ces immeubles en vue de réhabilitation politique, administrative ou culturelle… de la madina historique ;
c- la destruction systématique de toutes les excroissances construites sur les terrasses des immeubles ;
d- la banalisation des équipements de base au même niveau que le reste de la ville.
Dans le cadre de la sauvegarde et de l’aménagement de la madina historique, une autre tâche urgente est à entreprendre, celle de restaurer et préserver l’ensemble constitué par ce que nous avons appelé plus haut (§ II) «les monuments défensifs» et «les monuments publics».
Pour les monuments défensifs, une opération urgente doit se charger des remparts et des immeubles y attenant, notamment le fort des Suppliciés.
En ce qui concerne les monuments publics, la restauration doit s’attacher aux mosquées, aux oratoires, éléments essentiels du patrimoine cultuel et culturel qui expriment mieux l’éclat de notre civilisation. Quant à la restauration, la réhabilitation et l’insertion du cadre de la vie domestique, économique et de loisirs, il fera l’objet des opérations à moyen terme, liées à la planification générale de l’urbanisme.
Observation : dans le passé, diverses autorités ont fait faire des études ponctuelles ou globales sur la madina historique. Il va sans dire que les résultats de ces études achevées ou en cours conservent toute leur importance technique. Globalement ou partiellement, elles doivent servir à mettre au point les interventions à entreprendre sur la madina historique.

V- Moyens d’action
Dans un souci d’efficacité, et afin de ne pas aboutir à des blocages ou des attitudes négatives qui se manifestent toujours lorsqu’il s’agit de monuments historiques notamment, il y a lieu de procéder à la création d’un organisme spécialisé : «L’Atelier d’études, de restauration et d’aménagement de la madina historique de Annaba»,dont la tâche comportera notamment :
– L’aménagement du plan de détail d’urbanisme ; – l’aménagement et la mise en valeur de la madina ; — la restauration des immeubles, des remparts, etc. ; – l’étude et la surveillance de constructions publiques et privées (l’atelier étant le seul habilité à établir les plans des dispositions générales ou de détails) ; – la constitution de dossiers et de documents techniques relatifs au site et aux restaurations.
L’atelier sera sous la tutelle de la wilaya. Néanmoins, d’autres partenaires (ministères intéressés) auront à contribuer à l’action de cette structure. Cet atelier, enfin, sera animé par une équipe pluridisciplinaire et doté des moyens matériels et humains conséquents pour s’acquitter de sa mission.
Au cours de l’automne 1984, une fois les conclusions de la cellule de réflexion remises à la wilaya, le wali prit un arrêté déclarant la madina de Bûna-Annaba zone sauvegardée. Puis, décision très importante, et pratiquement unique dans le pays (à l’exclusion de l’atelier du M’zab), fut décidée la création d’un atelier de restauration et de réhabilitation de la ville médiévale, installé au sein de la madina. L’atelier était composé d’un ingénieur et d’architectes qui entreprirent un travail de recensement et d’études. Une opération pilote de réhabilitation fut réalisée. Bûna-Annaba était donc prise en charge, suivant le schéma général préconisé par la cellule de réflexion.
L’atelier progressait ; son fonds documentaire graphique et cartographique s’enrichissait. Mais tout ce travail disparut dans la tourmente des journées d’octobre 1988. L’atelier disparut ; on ne sait pas ce qu’il en était advenu de ses archives.
En 1995-1996 fut créé un nouvel organisme sous tutelle de la wilaya, en vue de reprendre le travail de recensement dans une première phase, avec le projet de travaux de restauration dans une deuxième phase. Mais l’action fut brutalement interrompue, en violation des textes qui avaient créé l’organisme.
Que d’occasions perdues ! Trente ans après, le diagnostic établi en 1984 n’a pas vieilli d’une ride. Bien plus grave, la ville médiévale, entre-temps, se consume et tombe pierre par pierre, ou bien elle est violée dans ses monuments (détruits comme la Kubba, et les mausolées de sidi Belaïd et de sidi Abdelkader), ou bien malmenés par des interventions qui ne reposent pas sur des bases scientifiques comme la «rénovation-transformation de la mosquée du Bey).
Certes des associations ont vu le jour pour sensibiliser et l’opinion et les édiles, mais leurs actions manquent de moyens les plus élémentaires. Que vaudrait un «Sheraton», responsable du viol de la Kubba des «Sept dormants», si un site historique, millénaire, se meurt à ses pieds ?
Peut-on encore espérer la réanimation et le sauvetage de ce qui reste ?

Par Saïd Dahmani, Ancien directeur du musée d’Hippone

Annaba Sidi Merouane : La force du cèdre

Publié dans Info Soir le 18 – 06 – 2003

Maisons à moitié effondrées ou entièrement à terre, des décombres, des constructions menaçant ruine dont certaines encore habitées, ou plutôt «squattées» préfèrent rectifier les habitants du quartier : telle est l?image qu?offre la place d?Armes.
Ce vieux quartier de Annaba est réputé d?ailleurs dangereux surtout à la tombée de la nuit où les âmes bienveillantes vous déconseilleraient de vous aventurer. Jeunes drogués et délinquants s?y réfugieraient élisant domicile dans les maisons en ruine et les carcasses d?immeubles. Est-ce à dire que la place d?Armes se réduirait à cela ? Assurément non. Plus le visiteur continue à s?y frayer un chemin entre de petits restaurants où l?on peut, paraît-il, déguster, entre autres, le «bouzellouf» sur feu de braise le plus délicieux de la ville et les tables de marchands de fruits et légumes ou de modestes commerces, plus le quartier se livre à lui dans toute sa splendeur insoupçonnée.
Mais pour cela, il faut pouvoir forcer les hautes murailles des maisons à l?apparence extérieure banale et quelconque, éviter de se perdre dans les ruelles sinueuses et montantes et ne pas hésiter à explorer chaque coin et recoin, car la moindre parcelle, pavée ou creusée de la Médina est chargée d?histoire. Une fois les murailles forcées, ce sont alors de pures merveilles architecturales qui font leur apparition. Les couleurs vives de la mosaïque, les piliers en marbre sur lesquels sont construites les chambres à l?étage, les charpentes en cèdre de l?Edough, la fontaine au milieu de la courette dont souvent ne subsiste hélas que l?emplacement, l?anneau en fer à l?extérieur de la maison où il est aisé d?imaginer un cheval fourbu attaché par son maître harassé par une longue chevauchée ou encore la dalle carrelée et surélevée à l?entrée de la maison où était reçu un invité surprise qui ne devait rester que quelques minutes, mais que les règles de l?hospitalité ne pouvaient permettre de recevoir sur le pas de la porte, les marches marbrées conduisant à l?étage… Qu?elles soient de style arabo-mauresque, andalous ou turc, selon l?époque de leur construction, l?atmosphère de ces bâtisses est tellement chargée de souvenirs de vies successives et différentes d?empreintes civilisationnelles que l?on croirait que les murs peuvent parler et raconter leur histoire datant des Zirides. Les enfants de la «Médina el haditha», comme elle s?appelait jadis, ne sont pas tous partis.
Ceux qui ont préféré rester «car ne pouvant s?imaginer vivre ailleurs» comme ils disent, évoquent avec nostalgie et tendresse leur enfance dans ce quartier qui n?est plus ce qu?il était. Une enfance pétrie de valeurs et peuplée de souvenirs où un mélange de superstition et d?imagination enfantine donne des récits extraordinaires sur «Fras bab m?kaber», cette femme légendaire moitié humaine moitié cheval qui pouvait surgir la nuit dans un halo de lumière et un tintement de ses bijoux pour effrayer les enfants désobéissants qui évidemment ne la voyaient jamais, mais croyaient fermement à son existence jusqu?à voir la lumière qui l?entoure et entendre le bruit de ses pas de cheval.
Les souvenirs déferlent et s?arrêtent avec insistance sur Hammam El Kaid, premier puits de la place d?Armes creusé dans la rue d?Alger par Jrada, princesse ziride qui a voulu ainsi contribuer au lancement de la Médina El haditha. Le hammam, construit en même temps que la mosquée de Sidi Abou Merouane, a été le point de départ, il y a dix siècles environ, de la nouvelle ville, vieille ville actuellement. La senteur subtile de l?argile parfumé que le comble du raffinement a fait qu?il soit utilisé comme matériau de construction dans El Beit Skhouna ajoutait à la magie du rituel observé alors par les femmes. Séances de poésie, musique et littérature…
Les bains que prennaient les femmes étaient autant d?occasions de rencontres, d?échange et même d?alliances puisque des demandes en mariage étaient souvent faites au hammam. Et si par malheur les mariages conclus tournaient mal, Dar Zeribi était là pour essayer de raccommoder les fissures.
Avant la solution extrême de séparation, les couples étaient en effet isolés dans cette maison de réconciliation loin de tout environnement familial, et ce, pendant des semaines ou même des mois selon la gravité des différends. Si tout espoir d?une réconciliation est abandonné, c?est alors la procédure du divorce qui est entamée. Dar Zeribi, qui jouait ce rôle réconciliateur bien avant l?avènement des Turcs, est aujourd?hui une maison habitée par une famille. Pour en revenir au hammam d?El-Kaid, il a continué des siècles durant, même si le rituel n?est plus ce qu?il était, à peupler de souvenirs l?enfance de générations entières de natifs de la place d?Armes. Aujourd?hui encore, les vieux et moins vieux qui, leur vie durant, n?ont pu aller dans un autre bain que celui-là, regrettent sa fermeture depuis quelques années en raison d?un problème d?héritage.
Mais si la Zaouïa de Sidi Abdelkader vieille d?au moins 4 siècles a été gravement endommagée en 1988 lors d?une opération de démolition de maisons mitoyennes, véritables monuments historiques selon les habitants, la mosquée de Sidi Abou Merouane, qui fut la première université sunnite dans le monde arabo-islamique, continue, elle, à accueillir les fidèles et à veiller sur la ville. Que la baraka du saint continue longtemps à protéger la ville du cèdre! Elle en a besoin…

Par Baya F.

Annaba sous la plume des archéologues

L’historique Hippone

Publié dans El Watan le 26 – 07 – 2005

L’ouvrage sur Hippone présenté samedi dernier au Centre culturel français de Annaba par Xavier Delestre, conservateur général du patrimoine et conservateur régional de l’archéologie, suffira-t-il à dessiller les yeux des responsables algériens sur cette richesse culturelle inestimable ?
En décrivant avec minutie le moindre détail sur Hippone relevé après une longue enquête sur le site, Delestre a peigné un cadre historique avec une puissance supérieure à celle que l’on a connue jusqu’ici. Dans sa préface de l’ouvrage, Khalida Toumi, la ministre de la Culture, l’a bien souligné. Elle qui a affirmé : « Nul doute que ce savant livre qui réunit les contributions scientifiques de tant de spécialistes fera avancer la connaissance sur l’une des plus belles cités et l’un des plus anciens établissements de mon pays. Dans ce livre, se trouvent rassemblées les analyses d’éminents archéologues qui ont travaillé sur et dans la cité, sur les vestiges exhumés ou sur les écrits des anciens. » Tout est dit dans cette affirmation d’un membre du gouvernement algérien maintes fois et vainement interpellé sur la situation d’abandon à laquelle sont confrontés les sites archéologiques en Algérie. Celui d’Hippone, sans gestionnaire depuis des mois, est véritablement dramatique. Dans cette préface, Mme la ministre a mis en exergue le travail soigné réalisé par les spécialistes ayant contribué à l’élaboration de l’ouvrage. Elle dit vrai, car l’inventaire des vestiges qui y sont exhumés est une œuvre d’art, un objet d’exposition et d’étude. C’est certainement la finalité à laquelle avait voulu aboutir Marcel Tavet, directeur du Centre culturel français à Annaba en organisant samedi dernier une rencontre avec l’auteur. A quelques jours du départ définitif de Annaba de Marcel Tavet, l’idée était tout simplement géniale. « Le résultat des recherches que résume ce livre sur Hippone illustre le renouveau d’une coopération qui n’est jamais aussi riche de sens que dans l’approche des sciences humaines et sociales, dont fait partie l’archéologie. C’est dans le domaine des idées, des hypothèses, des réflexions conjointes ou affrontées que se bâtit l’égalité d’une relation intellectuelle, d’autant plus exigeante ici qu’elle s’attache au passé, à ses enjeux et à ses leçons. » Il s’agit d’un passage de l’avant-propos rédigé par Son Excellence Hubert Colin de Verdière, ambassadeur deFrance en Algérie. Il situe avec exactitude le contenu. Aidé d’éminents archéologues comme lui, Delestre a tiré des entrailles de l’histoire tout ce qui a trait à Hippone. Son livre répond à des questionnements sur d’innombrables pans de l’histoire d’Hippone la vandale, byzantine et romaine, sur des abandons culturels et sur des rêves alimentés par cette cité, aujourd’hui livrée à l’abandon et aux mauvaises herbes. En faisant boire le temps d’une lecture de son ouvrage, dans l’aqueduc, les châteaux d’eau, les fontaines d’Hippone, en parlant des matériaux et des techniques de construction d’Hippone et des villes de l’Afrique romaine, Delestre a touché à un profond sentiment des Hipponois. Ceux qui ont vécu en textes et en images l’épopée de saint Augustin, qui pourront le faire en admirant la mosaïque du temps et de son au-delà que leur offre Sabah Ferdi. Grâce à Marcel Tavet et Delestre, d’autres Hipponois revivront entre les lignes de l’ouvrage, Hippone la Vandale et Byzantine de Jean-Pierre Laporte ou celle, avec les sources arabes, racontée par SaïdDahmani. Il y a enfin ces Hipponois qui auront tout loisir de confronter l’histoire politique de Annaba à l’époque musulmane retracée par Abderahman Khelifa jusqu’aux repères chronologiques de Xavier Delestre, l’auteur du livre. L’on a l’impression qu’à travers son Hippone, cet auteur veut nous rendre familier avec l’archéologie de cette grande cité pour mieux l’immortaliser, la faire connaître, la réévaluer et l’explorer. Quelle belle manière que celle employée par Marcel Tavet pour dire adieu à Hippone, Bouna, Bône, Annaba. C’est comme si avant de partir, Tavet a voulu, à travers ce livre, rappeler à ceux qui restent toute la richesse culturelle d’une ville où il a vécue ces 4 dernières années. Homme de culture et de spontanéité, Marcel Tavet a su donner au Centre culturel français l’impulsion nécessaire pour une animation culturelle régulière et de grande qualité. Au titre de baroud d’honneur, avec Francis Heud, le consul général de France àAnnaba, une autre compétence également sur le départ en cette fin de mois, Marcel Tavel nous convie demain, 27 juillet, à une soirée dans le somptueux décor de l’hôtel Rym El Djamil Annaba.

A Djabali

Annaba : La ville perd son identité

Coeur battant de la vieille ville, la Place d’Armes représente une référence historique d’une valeur inestimable.

Appelée communément «Place d´Armes», la vieille ville d´Annaba est à l´agonie. Elle n´est plus en mesure de résister aux vicissitudes du temps auxquelles s´ajoute l´incivisme de l´homme, indifférent aux valeurs identitaires et historiques. Datant de l´ère ottomane, la vieille ville représente plus de 250 ans d´histoire. Les bâtisses portent encore les effluves d´une époque toujours présente à travers la mosaïque de Dar El Gaïd. Haut de 30 mètres, le minaret de la mosquée d´Abou Merouane, construite au XIe siècle, veille inexorablement… Tandis que le hammam El Gaid, dont l´édification remonte à l´an 980, fait toujours le bonheur des traditionnelles mariées qui s´y rendent pour leur défilé nuptial. Situé sur le front de mer, ce site antique se caractérise par ses étroites ruelles.
D´année en année, la vieille ville de Annaba subit les affres du temps. Mandat après mandat, élu après élu, aucun n´a répondu à l´appel au secours d´une cité qui se délite dans l´indifférence. Aussi, «la Place d´Armes» est devenue un site à haut risque. Les risques d´effondrement sont omniprésents au vu de l´état de délabrement avancé des bâtisses.
L´effondrement de ces vestiges provoquerait la disparition d´une page d´histoire de la ville des jujubes. Bien que la vieille ville ait été classée patrimoine historique, il n´en demeure pas moins qu´elle subit le sort de l´accusé acquitté mais qui purge une peine qui n´est pas la sienne. Les appels à la sauvegarde de ces vestiges sont restés sans écho durant des années. Ce n´est que récemment qu´un plan de restauration a été dégagé à la faveur du dernier rapport relatif à la réhabilitation de ce site. Le rapport datant de 2007 a mis à nu certaines entraves, notamment celles liées à l´enveloppe financière de l´ordre de plus de 60 millions de dinars pour la prise en charge des travaux de réhabilitation. Un délai de quatre ans est fixé pour redorer le blason terni de la vieille ville.
Il y a lieu de souligner que l´ensemble du tissu d´habitations de la Place d´Armes est composé à 77% de bâtisses privées. 18% sont gérés par l´Office public de gestion immobilière (Opgi). Pour le reste, soit 07%, ce sont des bâtisses relevant du patrimoine national, et des biens d´Etat, ex-biens vacants. Le recensement pour évaluer la réhabilitation fait état de 440/610 bâtisses qui ne pourront faire l´objet de réhabilitation, encore moins la restauration; s´ajoute à cela le fait que certaines constructions au nombre de 72 sont classées patrimoine international.
Ces constructions sont malheureusement classées à haut risque et enregistrées sur la liste rouge de l´Office communal de restauration et de réaménagement de la vieille ville de Annaba (Ocrava). En attendant, la «Place d´Armes» continue d´être nostalgique de son passé perdu.

Par

Le 25-06-2009

Vox populi : ANNABA : UN PATRIMOINE HISTORIQUE PRÉCIEUX
L’une des plus anciennes cités de la Méditerranée en danger

Saïd Dahmani, historien-archéologue,
spécialiste de Hippone -Bûna-Annaba
Comme on doit le savoir, notre cité figure parmi les plus anciennes dans le bassin occidental méditerranéen. Elle figure parmi les 100 sites méditerranéens définis par le Plan bleu pour leur protection, leur conservation et leur réhabilitation.
L’homme y était déjà présent depuis le paléolithique. Cet homme avait fondé Hippone, puis Bûna et poursuit une «certaine» urbanisation avec Annaba. Le paradoxe est que les descendants de cet homme, aujourd’hui, délaissent leur patrimoine historique ancestral au point qu’ils menacent de l’effacer de leur mémoire. Les gisements préhistoriques de Oued-Ziyad et de Ras-el- Hamra, les vestiges de Hippone, la Madina de Bûna en constituent les composantes essentielles. Les atteintes n’épargnent aucune période.
Massacre à Aïn-Achir
Où sont passés les dolmens de Oued-Ziyad ? Cette région est laissée au gré des constructions sauvages, et à l’analphabétisme culturel des édiles locaux. Le site de l’espace de Ras-el-Hamra (Cap de Garde) comprend : le «Karting», prolongement du Parc national de l’Edough (classé avant 1962), le cap où se trouve notamment la grotte Bent-al-Soltane, la carrière marbrière antique et la plage Aïn-Achir. Dans cet ensemble ont été trouvés des gisements préhistoriques du paléolithique, lors des fouilles entreprises dans les années 50. Ce site préhistorique, malgré l’intervention écrite, en 1989, auprès de la wilaya, attirant l’attention sur le fait que la zone du cap a été décrétée, par le Cadat en 1968, zone non aedificandi, et sur l’existence avérée de vestiges préhistoriques, a été livrée à l’édification d’un hôtel (jamais achevé, mais qui a détruit définitivement les traces de nos ancêtres), puis à la fameuse ZET qui poursuit la destruction systématique de la nature et de la culture, car cette zone recèle des vestiges aussi bien de la période antique que de la période médiévale. Autrement dit, quelque deux cent mille ans effacés de la mémoire de Annaba. Plus près de nous, il y a environ trois mille ans, prend naissance le premier noyau urbain qui prend le nom de Hippone, entre les VIe et Ve siècles avant J.C. Jusqu’en l’an MIL, Hippone a connu la succession et l’accumulation de trois strates civilisationnelles : la Numide, la romanovandalo- byzantine et la musulmane. Une partie de ce patrimoine a été mise au jour. Les vestiges dégagés pendant un demi-siècle, fierté de Annaba, sont aujourd’hui complètement à l’abandon. Après une timide tentative d’entretien, les vestiges sont livrés à l’oléastre, aux pousses de figuiers, aux ronces, aux déprédations des sangliers, aux déchets des buveurs nocturnes, aux délinquants et aux herbes folles. Les quelque trois mille mètres carrés de mosaïques sur le site sont en péril, alors que les rouleaux de géotextile pour les protéger temporairement, avant restauration urgente, attendent depuis 2005. Où es-tu passée ô baraka d’Augustin ? Et que reste-t-il des promesses qu’a laissées entrevoir le colloque de 2001 sur Augustin d’Hippone ? Voilà donc un autre pan de notre mémoire qui se désagrège, à l’œil nu, à trois mille mètres du siège de l’Assemblée populaire communale, et à trois mille cinq cents mètres de la Wilaya, trente minutes de marche à pied !!! Cinq minutes en voiture !!!
Si Abu Marwa revenait…
Vers l’an 1000, Hippone cède la place à Bûna. Elle a également vécu le passage des Kutâma, des Zirides, des Hafsides, des Espagnols, des beys et des coloniaux. Bien que la matrice soit kutamienne et ziride, Bûna a accumulé un capital multiculturel appréciable, qui renforce sa méditerranéité entre autres. Ici interviennent, dans les atteintes au patrimoine de la madîna de Bûna, ses enfants, ou prétendus tels, et l’indolence des pouvoirs locaux. Certes, la colonisation a commis des atteintes (220 maisons détruites ; des édifices publics déviés de leur affectation, etc.). Mais quel a été le sort de ce qui en a réchappé ? Deux grandes mosquées : Abu Marwân (XIe siècle), El Bey ( XVIIIe siècle), classées monuments nationaux, ne profitent pas de l’intérêt auquel elles ont droit. La mosquée Abu Marwân, la plus ancienne, a besoin d’une restauration qui la rapprocherait de son état premier : la documentation et les plans existent, pour redonner à sa cour intérieure ses quatre péristyles, mettre les annexes d’ablutions loin de la salle des prières, restaurer le dôme au-dessus de cette salle : il suffit d’utiliser les rentrées de la zakat, et surtout une volonté politique. Or, si une opération d’urgence et d’envergure n’était pas entreprise, l’édifice finirait par dépérir, à l’image du quartier dans lequel il se trouve. Abu Marwan, revenant aujourd’hui, maudirait ceux et celles qui ont manqué à leur devoir de protection de son «université» théologique malékite. La mosquée de Salah Bey est minée. Sa coupole est fissurée (l’enveloppe en aluminium n’est qu’un cache-misère) ; les deux péristyles latéraux de la cour ont été transformés en bureaux (??) ; la faïence du mur de Kibla est celle plutôt d’une quelconque salle d’eau. Le minaret est étouffé par des constructions parasites ; ses façades extérieures ont perdu toute leur élégance par le badigeonnage sauvage au vinyl. Où êtes-vous les descendants des kourghlis et de leurs cousins ? Car quels témoignages de votre patrimoine pourriez-vous offrir aux visiteurs ? Si la situation se prolongeait, ce patrimoine n’existerait plus, dans le meilleur des cas, que sous forme d’articles ou de photos. Plus encore, les deux derniers témoins du patrimoine matériel soufi (mystique), intramuros, ont été purement rayés du paysage de Bûna entre 1986 et 1992 : le mausolée de sidi Belaïd et celui de son frère sidi Abdelkader (tous deux situés sur les hauteurs de la Madina) ; leur emplacement est aujourd’hui un dépôt d’ordures. Le patrimoine défensif est tout aussi bien mal en point. Trois vestiges en témoignent. Ce sont d’abord les restes de la façade orientale de l’enceinte du XIe siècle (sous l’école du front de mer et de la mosquée Abu Marwan). Ce tronçon des remparts est entamé par des constructions à sa base du côté de la Marine. Pourtant, pour les architectes et l’école d’architecture, il y a là un bel échantillon des modes de construction du XIe. Le seul maire qui s’en était soucié et avait entrepris une étude en vue de sa consolidation fut le regretté Chekman. Aujourd’hui ce mur se désagrège inexorablement. Le deuxième vestige, lié au précédent, est le fort des Suppliciés (face à l’entrée supérieure de la Faculté de droit). L’atteinte ici est double l’édifice est squatté, depuis des dizaines d’années, par une famille qui prétendrait en être la propriétaire (?) Aucune autorité n’a voulu (?) ou n’a pu (?) sauver ce monument inscrit sur l’inventaire national donc, par définition, bien de la communauté nationale. Le monument est fissuré ; il est enfoui sur au moins un mètre dans la chaussée ; ses murs suintent d’écoulements d’eaux usées noirâtres et nauséabondes. Une opération de crépissage «catastrophique» au ciment a été entreprise par l’APC ; heureusement que la Direction de la culture y a mis le holà. En attendant, le squatter y est toujours et l’espace y attenant sert de parking : pourtant le monument est face à l’université qui aurait pu faire quelque chose, via son école d’architecture. Le troisième monument, également inscrit sur l’inventaire national, est la citadelle de la Kasaba, édifiée par l’un des premiers sultans hafsides en 1300 de J.C. Voici un complexe gouvernemental, qui, après avoir été malmené par la colonisation, qui en avait fait un édifice militaire, a été transformé d’abord en parc pour les instruments des éboueurs (sic) de la commune et pour le stockage du mobilier scolaire réformé. En 1990/91, il a été aménagé en centre de transit, officiellement pour des «sinistrés», mais il a failli, en réalité, se transformer en foyer de subversion. Un projet de sa réhabilitation a été entamé au début de ce millénaire ; mais il semble être à l’arrêt.
L’aspect misérable de la mairie coloniale
La gangrène sévit également au niveau des édifices d’habitation. Les premiers responsables de la détérioration de cet habitat sont les propriétaires et les locataires qui ont atomisé les espaces pour abriter le plus grand nombre. Les chambres ont été divisées, les décors vandalisés… De belles et représentatives demeures de l’architecture traditionnelle et du style raffiné de vie ont complètement disparu sous le coup de ces détériorations. Il en reste, cependant, quelques unités récupérables à brève échéance : mais là seuls les organismes publics, ou des entreprises touristiques, etc. pourraient les sauver en les acquérant auprès de leurs propriétaires et en les réhabilitant d’urgence, car elles ne tiendront pas longtemps. Signalons une autre atteinte à l’esprit même d’habitat ici : c’est d’avoir laissé devenir la Madina un centre de transit, donc de la disparition du sentiment d’appartenance à la cité. Il s’agit, donc, ici de porter secours à un patrimoine en danger de disparition. Annaba a également hérité un patrimoine architectural colonial, ce sont essentiellement les édifices situés sur le cours de la Révolution : l’hôtel de ville et les immeubles. Il est déconcertant de voir l’aspect misérable de la façade de la mairie : la crasse des murs «pleureurs», un balcon où se bousculent les corps des conditionneurs d’air, le martelage du bas-relief du balcon, des murs lépreux qui suintent… L’intérieur de l’édifice a complètement perdu son élégance : le bois peint, de style italien, se désagrège, les décors en stuc de la salle des actes ont pratiquement disparu. Une seule tentative de réhabilitation a été tentée vers le milieu des années 80, mais elle est restée sans suite. Les façades des immeubles du cours constituent un inventaire des principaux types de façades de la Méditerranée occidentale. Ces façades ne sont pas entretenues ; mais quand il y a ravalement, on «peinturlure» en arlequinade. Alors ? Quand les citoyens annabis, leurs élus et les autres autorités locales vont-ils procéder au sauvetage de ce patrimoine ?
S. D.

Le 25-06-2009

Vox populi : ANNABA : UN PATRIMOINE HISTORIQUE PRÉCIEUX
L’une des plus anciennes cités de la Méditerranée en danger

Saïd Dahmani, historien-archéologue,
spécialiste de Hippone -Bûna-Annaba
Comme on doit le savoir, notre cité figure parmi les plus anciennes dans le bassin occidental méditerranéen. Elle figure parmi les 100 sites méditerranéens définis par le Plan bleu pour leur protection, leur conservation et leur réhabilitation.
L’homme y était déjà présent depuis le paléolithique. Cet homme avait fondé Hippone, puis Bûna et poursuit une «certaine» urbanisation avec Annaba. Le paradoxe est que les descendants de cet homme, aujourd’hui, délaissent leur patrimoine historique ancestral au point qu’ils menacent de l’effacer de leur mémoire. Les gisements préhistoriques de Oued-Ziyad et de Ras-el- Hamra, les vestiges de Hippone, la Madina de Bûna en constituent les composantes essentielles. Les atteintes n’épargnent aucune période.
Massacre à Aïn-Achir
Où sont passés les dolmens de Oued-Ziyad ? Cette région est laissée au gré des constructions sauvages, et à l’analphabétisme culturel des édiles locaux. Le site de l’espace de Ras-el-Hamra (Cap de Garde) comprend : le «Karting», prolongement du Parc national de l’Edough (classé avant 1962), le cap où se trouve notamment la grotte Bent-al-Soltane, la carrière marbrière antique et la plage Aïn-Achir. Dans cet ensemble ont été trouvés des gisements préhistoriques du paléolithique, lors des fouilles entreprises dans les années 50. Ce site préhistorique, malgré l’intervention écrite, en 1989, auprès de la wilaya, attirant l’attention sur le fait que la zone du cap a été décrétée, par le Cadat en 1968, zone non aedificandi, et sur l’existence avérée de vestiges préhistoriques, a été livrée à l’édification d’un hôtel (jamais achevé, mais qui a détruit définitivement les traces de nos ancêtres), puis à la fameuse ZET qui poursuit la destruction systématique de la nature et de la culture, car cette zone recèle des vestiges aussi bien de la période antique que de la période médiévale. Autrement dit, quelque deux cent mille ans effacés de la mémoire de Annaba. Plus près de nous, il y a environ trois mille ans, prend naissance le premier noyau urbain qui prend le nom de Hippone, entre les VIe et Ve siècles avant J.C. Jusqu’en l’an MIL, Hippone a connu la succession et l’accumulation de trois strates civilisationnelles : la Numide, la romanovandalo- byzantine et la musulmane. Une partie de ce patrimoine a été mise au jour. Les vestiges dégagés pendant un demi-siècle, fierté de Annaba, sont aujourd’hui complètement à l’abandon. Après une timide tentative d’entretien, les vestiges sont livrés à l’oléastre, aux pousses de figuiers, aux ronces, aux déprédations des sangliers, aux déchets des buveurs nocturnes, aux délinquants et aux herbes folles. Les quelque trois mille mètres carrés de mosaïques sur le site sont en péril, alors que les rouleaux de géotextile pour les protéger temporairement, avant restauration urgente, attendent depuis 2005. Où es-tu passée ô baraka d’Augustin ? Et que reste-t-il des promesses qu’a laissées entrevoir le colloque de 2001 sur Augustin d’Hippone ? Voilà donc un autre pan de notre mémoire qui se désagrège, à l’œil nu, à trois mille mètres du siège de l’Assemblée populaire communale, et à trois mille cinq cents mètres de la Wilaya, trente minutes de marche à pied !!! Cinq minutes en voiture !!!
Si Abu Marwa revenait…
Vers l’an 1000, Hippone cède la place à Bûna. Elle a également vécu le passage des Kutâma, des Zirides, des Hafsides, des Espagnols, des beys et des coloniaux. Bien que la matrice soit kutamienne et ziride, Bûna a accumulé un capital multiculturel appréciable, qui renforce sa méditerranéité entre autres. Ici interviennent, dans les atteintes au patrimoine de la madîna de Bûna, ses enfants, ou prétendus tels, et l’indolence des pouvoirs locaux. Certes, la colonisation a commis des atteintes (220 maisons détruites ; des édifices publics déviés de leur affectation, etc.). Mais quel a été le sort de ce qui en a réchappé ? Deux grandes mosquées : Abu Marwân (XIe siècle), El Bey ( XVIIIe siècle), classées monuments nationaux, ne profitent pas de l’intérêt auquel elles ont droit. La mosquée Abu Marwân, la plus ancienne, a besoin d’une restauration qui la rapprocherait de son état premier : la documentation et les plans existent, pour redonner à sa cour intérieure ses quatre péristyles, mettre les annexes d’ablutions loin de la salle des prières, restaurer le dôme au-dessus de cette salle : il suffit d’utiliser les rentrées de la zakat, et surtout une volonté politique. Or, si une opération d’urgence et d’envergure n’était pas entreprise, l’édifice finirait par dépérir, à l’image du quartier dans lequel il se trouve. Abu Marwan, revenant aujourd’hui, maudirait ceux et celles qui ont manqué à leur devoir de protection de son «université» théologique malékite. La mosquée de Salah Bey est minée. Sa coupole est fissurée (l’enveloppe en aluminium n’est qu’un cache-misère) ; les deux péristyles latéraux de la cour ont été transformés en bureaux (??) ; la faïence du mur de Kibla est celle plutôt d’une quelconque salle d’eau. Le minaret est étouffé par des constructions parasites ; ses façades extérieures ont perdu toute leur élégance par le badigeonnage sauvage au vinyl. Où êtes-vous les descendants des kourghlis et de leurs cousins ? Car quels témoignages de votre patrimoine pourriez-vous offrir aux visiteurs ? Si la situation se prolongeait, ce patrimoine n’existerait plus, dans le meilleur des cas, que sous forme d’articles ou de photos. Plus encore, les deux derniers témoins du patrimoine matériel soufi (mystique), intramuros, ont été purement rayés du paysage de Bûna entre 1986 et 1992 : le mausolée de sidi Belaïd et celui de son frère sidi Abdelkader (tous deux situés sur les hauteurs de la Madina) ; leur emplacement est aujourd’hui un dépôt d’ordures. Le patrimoine défensif est tout aussi bien mal en point. Trois vestiges en témoignent. Ce sont d’abord les restes de la façade orientale de l’enceinte du XIe siècle (sous l’école du front de mer et de la mosquée Abu Marwan). Ce tronçon des remparts est entamé par des constructions à sa base du côté de la Marine. Pourtant, pour les architectes et l’école d’architecture, il y a là un bel échantillon des modes de construction du XIe. Le seul maire qui s’en était soucié et avait entrepris une étude en vue de sa consolidation fut le regretté Chekman. Aujourd’hui ce mur se désagrège inexorablement. Le deuxième vestige, lié au précédent, est le fort des Suppliciés (face à l’entrée supérieure de la Faculté de droit). L’atteinte ici est double l’édifice est squatté, depuis des dizaines d’années, par une famille qui prétendrait en être la propriétaire (?) Aucune autorité n’a voulu (?) ou n’a pu (?) sauver ce monument inscrit sur l’inventaire national donc, par définition, bien de la communauté nationale. Le monument est fissuré ; il est enfoui sur au moins un mètre dans la chaussée ; ses murs suintent d’écoulements d’eaux usées noirâtres et nauséabondes. Une opération de crépissage «catastrophique» au ciment a été entreprise par l’APC ; heureusement que la Direction de la culture y a mis le holà. En attendant, le squatter y est toujours et l’espace y attenant sert de parking : pourtant le monument est face à l’université qui aurait pu faire quelque chose, via son école d’architecture. Le troisième monument, également inscrit sur l’inventaire national, est la citadelle de la Kasaba, édifiée par l’un des premiers sultans hafsides en 1300 de J.C. Voici un complexe gouvernemental, qui, après avoir été malmené par la colonisation, qui en avait fait un édifice militaire, a été transformé d’abord en parc pour les instruments des éboueurs (sic) de la commune et pour le stockage du mobilier scolaire réformé. En 1990/91, il a été aménagé en centre de transit, officiellement pour des «sinistrés», mais il a failli, en réalité, se transformer en foyer de subversion. Un projet de sa réhabilitation a été entamé au début de ce millénaire ; mais il semble être à l’arrêt.
L’aspect misérable de la mairie coloniale
La gangrène sévit également au niveau des édifices d’habitation. Les premiers responsables de la détérioration de cet habitat sont les propriétaires et les locataires qui ont atomisé les espaces pour abriter le plus grand nombre. Les chambres ont été divisées, les décors vandalisés… De belles et représentatives demeures de l’architecture traditionnelle et du style raffiné de vie ont complètement disparu sous le coup de ces détériorations. Il en reste, cependant, quelques unités récupérables à brève échéance : mais là seuls les organismes publics, ou des entreprises touristiques, etc. pourraient les sauver en les acquérant auprès de leurs propriétaires et en les réhabilitant d’urgence, car elles ne tiendront pas longtemps. Signalons une autre atteinte à l’esprit même d’habitat ici : c’est d’avoir laissé devenir la Madina un centre de transit, donc de la disparition du sentiment d’appartenance à la cité. Il s’agit, donc, ici de porter secours à un patrimoine en danger de disparition. Annaba a également hérité un patrimoine architectural colonial, ce sont essentiellement les édifices situés sur le cours de la Révolution : l’hôtel de ville et les immeubles. Il est déconcertant de voir l’aspect misérable de la façade de la mairie : la crasse des murs «pleureurs», un balcon où se bousculent les corps des conditionneurs d’air, le martelage du bas-relief du balcon, des murs lépreux qui suintent… L’intérieur de l’édifice a complètement perdu son élégance : le bois peint, de style italien, se désagrège, les décors en stuc de la salle des actes ont pratiquement disparu. Une seule tentative de réhabilitation a été tentée vers le milieu des années 80, mais elle est restée sans suite. Les façades des immeubles du cours constituent un inventaire des principaux types de façades de la Méditerranée occidentale. Ces façades ne sont pas entretenues ; mais quand il y a ravalement, on «peinturlure» en arlequinade. Alors ? Quand les citoyens annabis, leurs élus et les autres autorités locales vont-ils procéder au sauvetage de ce patrimoine ?
S. D.

28-02-2016 2 28-02-2016