Piri Reis (1521)
Piri Reis, de son vrai nom Ahmed b.al-Hadj Muhammed-i Karamani-i Larendevi, est né vers 1465 à Gallipoli (actuelle Turquie).
Entre 1490 et 1495, il navigue à plusieurs reprises en Méditerranée occidentale, et notamment le long des côtes de l’Algérie et de la Tunisie sous les ordres de son oncle, Kemal Reis, grand corsaire ottoman. Il aurait d’ailleurs effectué avec ce dernier en 1487, sa première expédition vers les côtes du Maghreb. Par la suite, il participe à la conquête de la Syrie et de l’Egypte et revient une nouvelle fois en Afrique du Nord.
Nommé grand-amiral de la flotte ottomane d’Egypte et de l’Inde dès 1547, il réalise une expédition malheureusement catastrophique en 1552-53 vers les côtes d’Arabie et du Golfe Persique : elle fut la cause de sa condamnation à mort en 1553.
Corsaire puis amiral, il est davantage connu pour ses cartes et ses instructions nautiques que pour ses exploits maritimes. Il est très probablement le premier cartographe turc : on garde de lui deux cartes du monde, dessinées en 1513 et en 1528 et aujourd’hui conservées au musée de Top-Kapi à Istanbul.
Quant au Kitab-i Bahriye dont il est l’auteur, rédigé une première fois en 1521, puis remanié et augmenté en 1525, il s’agit d’un véritable recueil d’instructions nautiques et une description de la quasi-totalité des côtes de la mer Méditerranée.
Dans la première partie de son œuvre, Pirî Reis informe les lecteurs sur les difficultés de la navigation, les marées, les vents et tempêtes, les lieux d’ancrage ; dans la seconde partie, il livre une description précise des côtes, donnant des renseignements sur les ports, les mouillages et la façon d’y pénétrer, insistant particulièrement sur les écueils, les caps, les hauts-fonds, les îles, les points de repère, etc.
Voici un extrait intéressant (traduit) de ce fameux ouvrage. Il s’agit d’une description d’Annaba et d’une carte d’illustration (en bas de page, vous trouverez la traduction de Robert MANTRAN, professeur de turcologie à l’université d’Aix-Marseille).
Traduction :
De Porto Takouch au cap Sidi Merwan (46) il y a trente milles, vers l’Est. Sur cette route, à environ deux milles au large, il y a un récif : on voit ce récif sur la mer. Au Sud du cap Sidi Merwan, face à l’Est se trouve une baie : on l’appelle Ras al-Ghabar (47). De cet endroit jusqu’à la forteresse de la ville de Annab,il y a cinq milles. Que cela soit ainsi connu. Voilà tout. Le sultan de Tunis est le possesseur de cette forteresse. Dans les étendues qui sont au voisinage de cette forteresse, il y a des plantes en grand nombre, appelées akir karha (49). Les Arabes ramassent cette herbe et la vendent au poids aux navires qui vont et viennent ; il y a aussi un très grand nombre de lions. C’est pourquoi, en ces lieux on ne marche pas même de nuit en caravane, de crainte des lions ; on dit que ces lions ont pris des hommes des caravanes.
Au Sud-Ouest de la forteresse de la ville de ‘Annab, à deux milles, il y a un grand fleuve (50), les navires peuvent y pénétrer. Avec feu Kemal Reis, j’ai hiverné deux fois dans ce fleuve. Au Nord-Ouest de celui-ci, il y a des jardins et des vergers, et au Sud-Est une vaste plaine dénudée. Maintenant il convient de signaler que, en venant de la mer, les repères qui sont dans le voisinage de cette forteresse sont les suivants : on voit de hautes montagnes ; au-dessus de ces montagnes, face à l’Est, on voit un cap arrondi en forme de tente ; on l’appelle le cap Sidi Merwan.
De loin, ce cap ressemble presque à une Ile. On arrive droit sur ce cap, ayant laissé ce cap à l’Ouest on avance de cinq milles vers le Sud, et un (autre) cap apparaît (51) ; on contourne ce cap par l’Est et après deux milles (p. 644) on arrive devant la forteresse ; on peut alors jeter l’ancre. Si on jette l’ancre au Sud du cap qui est à deux milles de la forteresse, c’est un bon mouillage. Là on peut amarrer les barques au rivage, jeter l’ancre, car il y a dix brasses d’eau. C’est un mouillage, aux vents autres que les vents d’Est et de Nord-Est ; c’est un endroit qui évite aux navires le vent du Nord-Est, partout c’est un lieu d’ancrage aux eaux pures et calmes.
(46) Correspond au Cap de Garde, aussi appelé Ras el-Hamra.
(47) C’est l’anse du Fort Génois, ou la Baie des Corailleurs.
(48) Exactement ‘Annaba (Bône). Pirî Reis adopte aussi la lecture ‘Ounnab (= jujube).
(49) Anthémis pyrethrum.
(50) L’Oued Sebouse.
(51) Ce lieu parait correspondre au Rocher du Lion, sur les cartes.